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Arts et culture

Créer pour ne pas craquer

Crédit visuel : Athéna Akylis Jetté-Ottavi — Cheffe du pupitre Arts et culture

Chronique rédigée par Athéna Akylis Jetté-Ottavi — Cheffe du pupitre Arts et culture

Étudier les arts visuels, c’est passer ses journées à créer. Du moins, c’est ce que les gens imaginent : que nous passons notre temps à caresser des pinceaux en buvant du thé matcha dans une lumière dorée. En réalité, c’est souvent courir après le temps, trimballer des tubes de peinture secs dans un sac plus lourd qu’un trauma familial, et se demander si le dernier tableau qu’on a pondu à 3h du matin a vraiment un sens ou si on a juste déliré sous l’effet des vapeurs d’huile. Mais malgré tout, je crois de plus en plus que l’art est un outil de survie.

Pas dans un grand sens dramatique façon « l’art ou la mort », mais dans le sens quotidien. Celui qui t’empêche de basculer quand le stress monte, quand les échéances s’empilent comme des Tupperware mal rangés dans la tête. Créer, parfois, c’est juste une manière de ne pas exploser. Ou au moins, de faire une explosion un peu jolie.

L’art pour respirer

L’autre jour, après un cours trop théorique et un prof qui disait qu’on n’avait pas assez creusé notre inconscient, je suis rentrée chez moi et j’ai peint. Rien de scolaire. Juste des formes sans logique, des couleurs qui criaient ensemble. C’était laid, franchement. Une sorte de bataille entre un arc-en-ciel et un rouleau compresseur. Mais j’ai senti mon corps se détendre comme un ressort rouillé qui reprend forme.

Ce n’était pas un projet. C’était une échappatoire. Une fuite en avant, chevauchant mes pinceaux comme un balai magique. Seulement, il n’y avait pas de Quidditch au bout, juste moi qui essayait de ne pas m’écraser contre le mur du burnout.

L’art-thérapie low budget

Soyons honnêtes : faire de l’art, c’est souvent notre version étudiante de la thérapie. C’est moins cher qu’un psy, plus créatif que de se plaindre dans un chat de groupe, et ça ne te juge pas quand tu portes le même hoodie depuis trois jours. Je ne suis pas psy, et je ne vais pas prétendre que faire de l’aquarelle va résoudre tous tes traumas. Néanmoins, il y a quelque chose de profondément apaisant dans le fait de créer sans public, sans notes, sans attente. Juste soi, un médium, et le droit d’exister dans le flou, comme une aquarelle qui bave mais qui vit. 

Quand je broie du noir (et je ne parle pas de pigment), je ne vais pas forcément parler. Sauf que je peux sculpter. Ou dessiner. Ou, selon mes préférences, juste regarder un film qui me chamboule. Puis, parfois, ça suffit pour éviter que le silence devienne trop bruyant.

On devrait tou.te.s avoir un médium de secours. Un truc à ressortir quand le monde s’assombrit. Moi, c’est le stylo. Rien de tel qu’un bon gribouillis de rage pour éviter de dissocier pendant une remise d’examen en ligne. Pour d’autres, c’est la danse dans leur cuisine collante. Ou écrire des haïkus passifs-agressifs sur leurs profs. Chacun son style.

Voir les autres créer, c’est aussi se soigner

Quand je n’ai plus d’énergie pour créer moi-même, je vais voir ce que les autres font. Et franchement, voir quelqu’un performer ses émotions sur scène avec une banane en plastique ou lire un poème sur le fait d’être un meuble IKEA abandonné, ça me recentre. Je me dis : « OK, on est tou.te.s dans le même navire bancal, et il prend l’eau, mais au moins il est peint au fluo ! »

Un bon spot pour ça ? Le Pour Boy Pub, rue Somerset. Tous les mercredis soirs, c’est micro ouvert. L’ambiance : un mélange de bière artisanale, de guitares un peu désaccordées, et de gens qui livrent leur âme en slam ou qui chantent leur rupture comme si c’était un hymne national. Il y a parfois des performances qui te touchent à l’os, d’autres qui te font rire pour de mauvaises raisons et les deux font du bien.

C’est imparfait, c’est brut, c’est humain. Et ça rappelle que même quand on n’a plus d’énergie pour créer, on peut encore recevoir. Juste être là, écouter, et se laisser secouer un peu.

L’art n’est pas un luxe, c’est un réflexe de survie (avec des paillettes)

On nous vend l’idée que l’art vient après les trucs sérieux. Après les devoirs, les stages, le vrai monde. Mais dans les faits, l’art, c’est souvent ce qui nous permet de survivre pendant. C’est notre antivirus existentiel.

On ne crée pas toujours pour le CV. Parfois, on fait juste coller des yeux googly sur une boîte de mouchoirs en carton et l’appeler « Gérald, mon antidépresseur ». Et c’est correct. Gérard est un roi. L’art est un royaume. Et parfois, on y échappe pour quelques heures, sans passeport ni validation externe.

À Ottawa, ça grouille

On pense souvent qu’il faut aller au musée avec une écharpe en lin pour « vivre l’art ». C’est une erreur. L’art est partout, même (et surtout) dans les coins un peu dépareillés de la ville.

Tu veux te lancer sans pression ? Passe un jeudi soir à La Filature, à Gatineau : micro ouvert, poésie, impro, parfois juste des gens qui testent du nouveau matériel devant une douzaine de visages bienveillants. C’est parfait pour oser sans se prendre au sérieux.

T’as besoin de voir des choses bizarres et belles ? La Galerie SAW, près du Marché By, programme des expos qui sortent des cadres classiques. Tu peux y tomber sur une installation immersive, un film expérimental ou une performance qui te laisse perplexe.

Envie d’écrire ? Le club d’écriture de l’Université d’Ottawa est ouvert à toutes et tous, que tu rédiges un roman caché sur ton Google Drive ou que tu collectionnes des débuts de phrases jamais terminées. C’est un espace sans jugement, où l’important, c’est juste d’essayer.

Et puis, il y a les choses minuscules : des dessins collés dans le tunnel entre Desmarais et la bibliothèque, des zines laissés sur les tables du hall, une affiche mal imprimée pour une lecture poétique dans un local mal éclairé. Ce n’est pas un cadre doré, mais c’est bien de l’art. Juste là.

Pas une solution miracle, juste une bouée

Bon, soyons clairs : l’art ne va pas résoudre la crise du logement, ni te donner une illumination soudaine sur le sens de ton projet de fin de session. Mais ça peut t’éviter d’envoyer un message vocal à ton ex à 4h du matin.

Alors fais-le. Gribouille. Colle. Filme. Écris. N’importe quoi. Peins un alien triste sur ton four à micro-ondes. Compose une chanson à propos de ton Tupperware perdu. Ce n’est pas pour le prix Sobey, c’est pour toi.

Parce qu’au bout du compte, on ne crée pas toujours pour dire quelque chose. Parfois, on crée juste pour ne pas exploser. Et franchement, dans le monde tel qu’il est, c’est une forme de victoire.

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