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Coyne et Lenihan s’affrontent sur le vote obligatoire

17 novembre 2014

– par Frédérique Mazerolle –

Suite à une annulation de dernière minute, c’est lundi dernier qu’a eu lieu le débat sur la possibilité du vote obligatoire au Canada organisé par le Centre des études en politiques internationales (CÉPI) de l’Université d’Ottawa (U d’O). L’évènement opposait le journaliste du Globe and Mail et membre de l’émission At Issue de la société médiatique canadienne CBC, Andrew Coyne, à l’associé senior au Forum des politiques publiques du Canada, Don Lenihan.

L’idée d’un tel débat est née suite à la publication, en mai dernier, dans les pages du Globe and Mail, d’un éditorial de Coyne. Le texte, intitulé « Like jury duty or paying your taxes, voting should be mandatory », proposait justement que le vote obligatoire puisse en partie régler le problème du faible taux de vote. Cependant, le politologue Don Lenihan a répondu au message du journaliste quelques jours plus tard, déclarant une position contraire à la sienne. L’idée d’un débat amical est donc née de cette opposition.

Les deux hommes ont été invités à débattre leur position devant un auditoire bien rempli au pavillon de la Faculté des sciences sociales de l’U d’O. Le débat avait comme médiateur Kate Heartfield, chroniqueuse et membre du comité éditorial du Ottawa Citizen.

Le débat a commencé avec les arguments de M. Coyne, qui croit que le vote obligatoire puisse changer plusieurs aspects négatifs de la politique canadienne. Selon lui, le bas pourcentage de citoyens qui votent est un problème en soi qui mène à la distorsion politique.

« Quand un grand nombre de gens décident de ne pas voter, le résultat est une expression déformée non-représentative de l’opinion publique. La partie de la population qui choisit de voter n’est pas un échantillon aléatoire de l’ensemble. Il est biaisé à certains groupes sociaux et démographiques : une population plus vieille, plus blanche, plus aisée », décrète le journaliste.

Il va même jusqu’à dire que ce ne sont plus les citoyens qui choisissent leur parti politique, mais bien le contraire. Il souligne notamment les campagnes financières qui sont lancées pour inciter les gens à voter, surtout les jeunes et les populations des Premières nations et autochtones, alors que le problème pourrait être réglé autrement.

« Le fait de voter à une élection ne vous concerne pas seulement vous. Ce n’est pas seulement un choix individuel ou une affaire de préférence, comme si vous choisissiez entre Coca-Cola ou Pepsi. Vous ajoutez votre voix à une discussion collective », affirme M. Coyne.

Pour sa part, M. Lenihan est tout de même d’accord sur certains points de la délibération de M. Coyne. Il est d’accord sur le fait que le faible taux de participation électorale est un problème et qu’il faut y remédier. Par contre, il ne croit pas que le vote obligatoire soit la meilleure solution à ce problème.

« Lorsque nous demandons aux jeunes pourquoi ils ne votent pas, ils disent des choses comme “Les politiciens ne sont là que pour eux-mêmes” ou bien “Je ne crois pas que cela fera une différence”. La réponse habituelle de l’institution politique est que les jeunes sont soit naïfs ou mal informés, mais est-ce vraiment le cas? », explique le politologue.

Il tient à mentionner que les jeunes préfèrent ne pas voter, car la vision qu’ils ont du politique est imagée par des débats hyper partisans, des campagnes de publicité qui ne font que dénigrer les autres partis, des scandales comme celui de l’ancien maire de Toronto et le sénateur Mike Duffy. Le problème, selon lui, réside dans la nature des partis politiques.

De plus, il ajoute que le vote obligatoire ne pourrait pas accomplir des changements à long terme, car cela donnerait aux politiciens la chance de continuer « les affaires comme à l’habitude », étant donné que tous doivent voter.

« Si les candidats savent que les jeunes autochtones doivent voter, ils seront beaucoup plus susceptibles de proposer des politiques qui les courtisent et cela va changer le mélange et entraîner une plus grande équité. […] Par contre, les situations d’injustice ont ici des racines très profondes dans le système politique et il faudra beaucoup plus que le vote obligatoire pour les résoudre », conclut M. Lenihan.

Suite à ce débat pacifique, un vote à mains levées a démontré que plus de gens étaient en faveur du vote obligatoire.

« Le vote obligatoire n’est pas un remède magique. Il ne va pas arranger tous les problèmes de notre démocratie, mais il peut certainement l’aider à s’améliorer », conclut M. Coyne.

Similarités avec d’autres pays

Plusieurs pays possèdent des lois sur le droit de vote, le rendant obligatoire. Entre autres, on peut compter l’Australie, le Brésil et la Belgique. Même si les citoyens de ces pays sont obligés de voter, ces pays font face à des réalités différentes.

Dans le cas du Brésil, le taux de vote était de 78,9 %. « La participation électorale est en effet corrélée avec les niveaux d’éducation et de revenus, les jeunes, les pauvres et les gens moins éduqués votent en effet moins que les gens un peu plus âgés, mieux nantis et mieux éduqués », explique Jean Daudelin, professeur spécialisé en études des conflits et développement en Amérique latine à l’Université Carleton. Les citoyens sont portés à aller voter, sinon ils peuvent ne pas être capables de renouveler leur carte d’identité ou obtenir des prêts de la banque.

« Si l’on compare notre cas avec des pays comme la Belgique et l’Australie, on ne voit pas vraiment une différence au niveau de la qualité de la gouvernance, alors ce n’est pas nécessairement clair que ça ramène à une meilleure politique », ajoute Daniel Stockemer, professeur de sciences politiques à l’U d’O. « Par contre, le vote, c’est un droit civique et non une obligation civique. En obligeant les gens à voter, on remet en quelque sorte le principe de la démocratie en question ».

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