Illustration Andrey Gosse
Par Emmanuelle Gingras, journaliste
Ne pas être cocu à tout prix : telle est la crainte du couple monogame. Toutefois, parmi les passions débordantes, où le couple peut-il trouver l’épanouissement sans privation ?
Sacrifice. C’est le terme sacré du couple qui se soi-disant respecte. Limitations et règles sont donc en jeu. De son côté, le couple ouvert représente une « nouvelle » façon de s’afficher comme couple selon certaines règles à la demande d’un duo de base, mais selon laquelle l’accès aux rapports extérieurs est possible. Toutefois, le couple ouvert est-il moins « condamné » que celui monogame ?
Leathicia Turgeon travaille comme thérapeute de couple depuis 2013. Sa devise : rediriger les couples en leur proposant des lignes directrices et « apporter un œil différent sur les relations ». Celle-ci exprime rencontrer de plus en plus de couples ouverts avec le temps.
L’amour libre pour consolider ?
Le couple ouvert représente, pour la plupart, une transition servant à renforcer le couple.
En entrevue avec La Rotonde, une jeune étudiante de l’Université d’Ottawa, Rachelle (nom fictif pour préserver l’anonymat) a accepté de témoigner sur la transition de son couple vers une relation ouverte. Avec son copain depuis presque deux ans, Rachelle n’est en couple ouvert que depuis 3 mois. Son copain et elle ont pris cette décision pour consolider leur couple face à leurs différences. Rachelle explique avoir proposé cette idée afin d’explorer ses intérêts bisexuels. « Depuis, on a moins de problèmes », exprime-t-elle. Au début, la peur de tomber amoureux avec un.e autre était présente ; toutefois, Rachelle exprime que tous les deux ont su renforcer la confiance en eux-mêmes et envers autrui.
Un second témoin anonyme a accepté de parler de sa relation ouverte, Félix (nom fictif). « Suite à un long travail cognitif, j’en ai convenu que l’affection que j’exprime dans mes relations amoureuses ou simplement pour les gens n’est pas connectée à mon désir d’avoir des rapports sexuels », explique Félix. Cela fait environ trois ans que sa copine et lui sont ensemble et un peu plus de deux ans depuis qu’ils ont pris la décision d’ouvrir leur couple. Selon lui, la première année était un moyen « d’assurer la confiance dans le couple et de déterminer s'[ils étaient] capables d’avoir une base solide […] ». En effet, Félix avait déjà en tête d’opter pour cette alternative, puisqu’il affirme qu’aimer quelqu’un et être à ses côtés, c’est lui permettre d’exercer et d’explorer sa sexualité.
D’après les observations de Leathicia Turgeon, « le couple ouvert n’est pas une solution pour réparer le couple, mais une façon de s’épanouir ». Selon la thérapeute, déplacer le mal n’est pas efficace : il ne ferait que temporairement régler le problème sans le confronter. Il faut simplement s’assurer que les deux membres du couple soient consentants à explorer les alentours avec l’enrichissement comme but.
Des règlements dans la liberté
Fermées comme ouvertes, des règles sont établies entre les amoureux afin d’assurer leur épanouissement. Ainsi, sacrifices sont à faire afin de respecter les demandes des deux partenaires. Bref, le couple ouvert n’est pas un désengagement.
Du côté de Rachelle, quatre règles sont à respecter entre elle et son partenaire : ne ramener personne à leur domicile, ne jamais texter leurs autres fréquentations alors qu’ils sont ensemble, s’ils se rendent à une fête ensemble, ils la quittent ensemble, et enfin, toujours porter un préservatif ! Les individus qu’ils fréquentent importent peu, tant qu’ils s’en tiennent au courant.
En contraste, Félix et sa copine ont pour entente de ne pas coucher avec quelqu’un venant de l’entourage de l’autre. Aussi, ceux-ci ne s’autorisent que de brèves liaisons sans fréquentation. « [Le partenaire éphémère] doit être mis au courant avant le rapport, pour éviter tout malaise qu’il pourrait ressentir et ainsi s’assurer du plein consensus », élabore-t-il.
Bref, il s’agit de toute une gestion !
Turgeon souligne que malgré les différentes conceptions du dévouement, les attentes liées aux relations sont relativement toujours les mêmes. Ainsi, les conflits sont plutôt semblables : ils tournent autour des règles mises en place par le couple et à leur violation. La clé dans tous les cas demeure la communication.
Une conception de l’amour ostracisée
Il est difficile de déterminer si cette façon de procéder en amour s’est réellement popularisée avec le temps. Ce qui est certain, c’est qu’elle est de plus en plus perceptible. Il en vient donc à se questionner sur les causes de sa dévalorisation toujours présente.
La sexualité dans son ensemble est toujours très peu abordée publiquement. « Parler de notre sexualité c’est encore très tabou », affirme Turgeon. Selon elle, le problème réside dans l’incapacité d’aborder ce sujet tout en s’abritant de l’incompréhension de la majorité. Les traditions imprégnées sur nos conceptions de l’amour en seraient évidemment quelque peu responsables. Toutefois, la thérapeute explique que l’évitement du sujet de la sexualité prédispose les gens à vivre dans l’inconfort.
Le couple ouvert peut être une façon de percevoir l’amour à long terme. Il en vient à se demander sur la façon de gérer une famille dans un contexte où les parents fréquentent quelques concubins/concubines. La thérapiste de couple souligne que l’essentiel est de demeurer confiant devant les enfants. Encore une fois, la communication et l’écoute sont primordiales.