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Mon corps livré pour vous : un corps livré pour soi ?

13 octobre 2018

Critique

Mon corps livré pour vous : un corps livré pour soi ?

Par: Emmanuelle Gingras, contributrice

Escorte, prostitué.e, compagnon.ne de sexe, quelle différence ? C’est ce que se demande Caroline Yergeau, écrivaine de Mon corps livré pour vous. Ce n’est pas par la discrétion des termes employés et l’idéalisation simple que le problème de la prostitution se règle. Il s’agit d’un sujet universellement connu et dont l’ambiguïté éthique confond parfois les idées.

Sans nécessairement se positionner, Yergeau s’intéresse aux méandres de la légalisation du métier. En collaboration avec le Théâtre du Trillium, Yergeau travaille avec Pierre Antoine Lafon Simard qui la supporte dans ce processus prolongé sur quatre ans et qui dirige, somme toute, un spectacle philosophiquement et visuellement alléchant. C’est un texte entre l’autofiction et le théâtre documentaire que nous présentait la Nouvelle-Scène du 3 au 6 octobre.

La vision moderne

En effet, Pierre Antoine nous surprend encore avec une utilisation ingénieuse d’un décor contemporain : une boîte aux parois transparentes dans laquelle se déroulent les entrevues faites auprès de prostitué.e.s que Caroline Yergeau a rencontré.e.s en personne. Sur la surface lointaine de la scène, des projections de visages mélancoliques alourdissent l’ambiance tout en amplifiant la notion de l’inconnu. Lafon Simard exprime qu’il s’« intéresse à tout ce qui est facto contemporain ». Son utilisation moderne et froide de l’espace n’est donc pas surprenante.

L’identité féminine et son intégrité sexuelle

Ce n’est pas la première fois que Pierre Antoine s’occupe de la mise en scène de textes abordant la sexualité féminine. Il a entre autres remporté un Prix Rideau pour sa mise en scène de MILF, texte remettant en question l’identité sexuelle de la mère. Celui-ci explique qu’il se rend compte que ce qu’on permet aux femmes de projeter est, la plupart du temps, injuste. En effet, depuis longtemps, les archétypes féminins sont souvent jugés vicieux et trop à l’écoute de leurs pulsions. Celui-ci donne pour exemple Oedipe, personnage masculin mythique entre autres utilisé dans la psychanalyse de Freud : « Personne n’a accusé le désir d’Oedipe une fois qu’il apprend être marié à sa mère ». On peut aussi souligner Adam et Ève, où la seconde se laisse tenter par le péché et influence négativement Adam. Dans une ère plus contemporaine, on y trouve encore ce phénomène, mais selon une contradiction prenante; la sexualité de la femme, utilisée comme objet de vente, ne lui permet pourtant pas d’être ouverte avec sa sexualité sans être considérée comme indécente.

Donner le bénéfice du doute

Le texte de Caroline permet au public de donner le bénéfice du doute au métier en présentant des contextes où la prostitution est complice au développement humain. Au coeur des divers entretiens au courant de la pièce, on comprend que ce n’est pas tout le monde qui a « sombré » dans le monde de la prostitution. Il s’agit pour plusieurs d’une action purement expérimentale et un moyen de revivifier ou de faire naître la sexualité, que ce soit du côté du client ou des prostitué.e.s.  Il ne faut toutefois pas être naïf, le métier n’est pas toujours facile ni juste. C’est pourquoi Caroline souligne aussi la déshumanisation des prostitué.e.s. D’ailleurs, celle-ci se positionne face à l’ambivalence du sujet en situant un personnage fictif d’elle-même intervenant entre les entrevues et sombrant peu à peu dans un intérêt exacerbé.

Les apparences, au coeur du problème

Même si la proposition est une thématique qui ne surprend plus, il peut être intéressant d’en approfondir la connaissance puisqu’on a beau dire, le sujet en question présente une faille sociale d’actualité. Mais laquelle ? Caroline Yergeau répond à sa façon en situant son désintérêt sexuel personnel tout au long de l’histoire en parallèle avec ses recherches. De plus en plus frustrée par l’information exécrable qui lui parvient, celle-ci repousse le désir et neutralise sa vie sexuelle. Enfin, elle essaie de trouver la réponse à la prostitution en tentant de vivre l’expérience. N’arrivant pas à le faire, on comprend que le problème d’estime de soi se situe au coeur de son abstinence et culmine vers la source primaire du métier : la solitude.

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