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Quand la citoyenneté devient arbitraire

3 novembre 2014

– Par Clémence Labasse –

« Qui est Canadien ? ». C’est le sujet brûlant sur lequel une cinquantaine de personnes réunies mardi soir ont voulu en apprendre plus, lors d’une soirée organisée par le mouvement Justice for Deepan. Barbara Jackman, avocate spécialiste des questions d’immigration et des droits des réfugiés, s’est rendue à l’Université d’Ottawa pour discuter de la nouvelle définition de la citoyenneté depuis l’adoption récente de la loi C-24.

« En juin dernier, le gouvernement du Canada a adopté la ‘‘loi renforçant la citoyenneté canadienne’’. Et s’il y a une chose que vous devez concéder à ce gouvernement, c’est qu’il est excellent avec les tournures, car cette loi ne renforce rien du tout ». Voilà comment Barbara Jackman a attaqué la conférence de mardi soir.

La loi C-24 a été adoptée en juin 2014, quelques mois après que le projet ait été déposé en février de la même année. De nombreux organismes de défense des droits humains avaient alors marqué leurs contestations. Cette loi peut se comprendre en deux parties : elle rend la citoyenneté canadienne plus difficile à obtenir, mais aussi plus facile à perdre.

Elle allonge la période avant de pouvoir acquérir la nationalité, mais surtout, elle donne un pouvoir discrétionnaire au gouvernement pour dépouiller des Canadiens, accusés de certaines infractions pénales, de leur citoyenneté. Les personnes ainsi dépossédées n’ont plus de droit d’appel sur la décision.

Mme Jackman tient à souligner les trois problèmes fondamentaux que soulève la loi C-24 selon elle : « De un, il n’y a pas de procès. Le ministre de l’Immigration envoie une lettre et la personne est déchue de sa nationalité. De deux, les raisons pour enlever la citoyenneté d’un Canadien ne sont plus uniquement le fait que celle-ci ait été obtenue par la fraude, mais inclue maintenant des motifs criminels. De trois, cela ne concerne pas uniquement les Canadiens naturalisés, mais également des citoyens nés sur le territoire ».

Les infractions mentionnées présentement dans la loi C-24 sont celles qui attesteraient d’un manque de « loyauté envers le Canada ou les institutions

canadiennes », à savoir l’espionnage ou la trahison, les actes terroristes (au Canada ou à l’étranger), ou l’engagement avec un groupe officiellement en guerre contre le Canada.

L’avocate rappelle que, selon la loi, la notion de terrorisme reste vague. Ainsi, elle explique que « les activistes de Greenpeace qui avaient escaladé un bateau russe en 2013 auraient pu perdre leur citoyenneté si cette loi avait été en effet, car ce genre d’acte est considéré terroriste. On leur aurait trouvé un parent ou grand-parent d’une autre nationalité, et ils auraient pu perdre la citoyenneté canadienne ».

« C’est une pente glissante », déclare l’avocate. « À partir du moment où l’on dit qu’une personne née sur le sol canadien peut perdre sa citoyenneté pour de la criminalité, tout n’est plus qu’une question de la définition qu’on apporte à la criminalité. Pour le moment, c’est un certain type qui a été souligné, plus tard ça en sera d’autres : le crime organisé, la criminalité grave, et ainsi de suite ».

Elle ajoute : « Le véritable effet de cette loi, en plus de dénuer de sens la notion de citoyenneté, qui ne devient plus qu’une affaire de statut, a été de parvenir à étiqueter les Canadiens comme des étrangers. Ils ont recadré le débat, de façon à ce qu’on ne les considère pas ‘‘vrais Canadiens’’ même s’ils sont de la première ou de la seconde génération, parce qu’ils sont ‘‘étrangers’’. Voilà le pouvoir qu’a ce gouvernement ».

Le cas de Deepan Budlakoti

Le gouvernement du Canada n’a pas attendu l’adoption de la loi C-24 pour déchoir Deepan Budlakoti de sa citoyenneté. L’homme de 25 ans, pour qui la soirée de conférence et de collecte de fonds était organisée, est apatride depuis 2010 et vit sous menace d’expulsion vers l’Inde, un pays où il n’a jamais vécu.

Né à Ottawa en 1989 de parents immigrants indiens, Deepan Budlakoti n’avait jamais douté de sa citoyenneté. Il possède un acte de naissance, et à l’âge de 14 ans, il recevait son premier passeport, privilège accordé aux citoyens canadiens seulement.

Il y a quatre ans cependant, alors que M. Budlakoti purgeait une peine pour transfert d’armes à feu, il a soudainement été informé qu’il n’était en fait pas Canadien, car, selon les autorités, étant né de parents diplomates, il n’aurait jamais reçu la nationalité. Il s’est depuis retrouvé privé d’assurance sociale, privé du droit de travail, privé de tout droit.

Depuis, M. Budlakoti est en bataille judiciaire constante contre le gouvernement du Canada pour retrouver sa citoyenneté. Yavar Hameed, avocat de Budlakoti, explique que, d’un point de vue factuel, l’Inde a déjà confirmé que les parents ne travaillaient plus à l’ambassade quand il est né et qu’il est donc, comme tout autre enfant né sur le territoire, citoyen. Et il ajoute que, « même s’il n’était pas citoyen, le Canada aurait tout de même la responsabilité de l’intégrer en tant que tel, car c’est l’erreur de l’état s’il a été traité comme un citoyen pour deux décennies pour en être ensuite privé ».

Pour Amnesty International, la décision du Canada sur le cas de Budlakoti « va à l’encontre des engagements du pays envers les droits humains internationaux en lien avec le statut d’apatridie, et conduit à d’autres violations de droits humains », comme l’organisme l’a écrit dans une lettre au ministre de l’Immigration et de la Citoyenneté, Chris Alexander.

Sur cette affaire, le ministre n’a communiqué qu’une déclaration, par le biais de son attaché de presse, affirmant que le cas de Budlakoti était « en ligne avec les récentes réformes de la Loi sur la Citoyenneté ».

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