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Sports et bien-être

Chronique : Yoga et capitalisme moral

19 octobre 2015

Par Ghassen Athmni

Pendant des millénaires, le yoga a eu des fonctions différentes et a été pratiqué pour diverses raisons. La continuité historique, conjuguée aux divergences et au changement, a produit des disciplines flexibles et malléables qui peuvent être embrassées facilement et qui épousent plusieurs formes.

Né sur le sous-continent indien dans le dernier millénaire avant J.-C., le yoga s’est propagé en Asie et n’a atteint l’Occident qu’au XIXe siècle, durant la période coloniale. Depuis la moitié du XXe siècle, il ne cesse de gagner de popularité jusqu’au point de devenir aujourd’hui la discipline par excellence du bien-être.

Pourquoi le yoga et pas une autre forme d’exercice?

Depuis le début du XXIe siècle, le yoga connait un essor considérable et s’introduit partout; dans les universités, les bureaux, les places publiques, etc. Il se présente comme une discipline physique avec un supplément de méditation et spiritualité. Sans cela, ce ne serait que de la gymnastique. Il en est donc l’élément caractéristique et déterminant, et ce, même si le yoga en Occident en comporte beaucoup moins qu’en Asie, vu le fait que dans la plupart des cas il n’est pas lié à une religion organisée.

Contre les pressions du travail, des interactions sociales ou des études, finalement du marché, une bonne séance de gymnastique spirituelle permettrait de se relaxer, de « faire le vide » et de rétablir un équilibre.

Avec plusieurs autres tendances, je pense que le yoga est, du moins en partie, une tentative de réponse au manque de spiritualité reproché au capitalisme. C’est d’ailleurs ce que s’attèle à formuler des gens qui se prétendent philosophes, comme Alain Forget. Il s’agirait de retrouver une harmonie en trouvant à la fois des antidotes à l’aliénation et en concevant de nouvelles méthodes d’aborder le marché. C’est ce que Forget appelle le capitalisme conscient, ou ce qu’on appelle ailleurs le capitalisme moral.

Avec la fin de l’emprise cléricale, une frange de la population s’est tournée vers les « spiritualités orientales », dont le yoga est un représentant, bien que dans la majeure partie des cas il ne constitue pas une pratique pour ainsi dire religieuse en Occident.

La gymnastique douce du yoga est en opposition aux déflagrations énergétiques et émotionnelles du sport. Le but annoncé est d’atteindre une harmonie, entre le corps et l’esprit, entre le soi et l’univers.

C’est là que réside mon problème avec le yoga en tant qu’agent idéologique.

La mesure de la méditation donne une illusion de contrôle par rapport au contretemps aliénants du marché. Au concert des agents idéologiques, le yoga (tel qu’il est présenté aujourd’hui) joue la mélodie volontariste du bonheur individuel dont on décide en solo. C’est précisément l’élément spirituel qui permet de réaliser un joli glissando de la dissonance vers « l’harmonie naturelle ».

À mon sens, toute tentative d’harmoniser l’ordre actuel est une démission. En pratique, cela se traduit non seulement par l’acte de dépenser des centaines de dollars en cours et en équipements, mais aussi par celui d’acheter des produits équitables, dépenser dans des commerces qui reversent de l’argent au tiers-monde, participer à des charités, etc.

Que les gens se mettent dans différentes postures physiques ne m’indigne aucunement. Autant dans le cas du yoga que dans celui du magasinage « moral », ce n’est pas à la pratique en tant que pratique que j’objecte ce propos, mais c’est à une dimension idéologique qui participe au statu quo que je m’oppose.

 

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