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Chronique : Yeux de velours

9 novembre 2015

Par Yasmine Medhi

En te réveillant ce lundi matin, tu constates quelque chose d’inouï : tu es de bonne humeur. Tu passes quelques moments à savourer ce moment de béatitude avant de finalement te lever.

Une envie de t’habiller différemment s’empare de toi. Tu troques ton jean usé pour une jupe de velours et saisis ton fer plat pour dompter tes frisotis, chose à laquelle tu as pourtant renoncé depuis tes 13 ans. Tu pousses l’audace et t’armes d’un rouge à lèvre incarnat pour colorier tes lèvres asséchées par le froid.

Ce lundi matin, tu avais envie de te sentir belle, envie de t’accrocher à ta bonne humeur inespérée. Tu l’as fait pour toi et pour personne d’autre.

Et pourtant. Tu mets les pieds dehors et un sentiment de malaise t’envahit. D’anonyme des rues ottaviennes, tu es devenue une proie. Tu t’es fais belle pour toi-même, mais les hommes sur ton chemin semblent persuadés que tu existes uniquement pour leur plaire. À ce moment, tu donnerais tout pour pouvoir retrouver ton jean usé et ton sweater XL.

C’est assez ironique. Tu as passé les derniers mois à rire de ces soi-disant féministes qui se battaient pour un statut déjà obtenu. Tu étais convaincue que le sexisme n’existait plus, qu’hommes et femmes avaient les mêmes droits. Sauf que ce matin, tu réalises que tu n’as pas le droit de te trouver sur cette rue au même titre qu’un homme, et ça te dégoute.

Ta bonne humeur s’évanouit. Tu montes dans l’autobus, enlèves ton rouge à lèvre du revers de la main et t’arrêtes au Forever 21, histoire d’acheter un jean de mauvaise qualité et de vite enlever cette jupe qui t’as volé ta dignité.

Tu aurais aimé être une militante. Tu aurais aimé faire un fuck you magistral aux hommes de l’âge de ton père qui t’ont regardé de manière si indécente que tu as eu l’impression d’être fautive.

Mais tu n’es pas une militante. Tu es une jeune femme qui désire exister sans devoir te soucier des envies sexuelles incontrôlables de tes congénères masculins. Mais bon, il faut croire que c’est trop demander.

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