– Par Alex Jürgen Thumm –
Le prédécesseur de Blackboard Learn, la fausseté grammaticale et non traduisible qui est notre plateforme web des cours à l’Université d’Ottawa, était le Campus virtuel. J’aimais mieux ce dernier. Non seulement était-il d’un nom suivi d’un adjectif (au lieu d’un nom anglais suivi d’un verbe anglais), mais le terme même est très symbolique, car il reflète avec précision la condition de notre campus. La vie étudiante est rendue virtuelle : elle se réalise de plus en plus sur les médias sociaux et de moins en moins dans l’espace physique. Example typique : l’Assemblée générale de novembre dernier. Autant et fort probablement encore plus d’étudiants « participaient », ou observaient passivement, sur Twitter et Facebook, qu’il y en avait sur place au Centre des congrès. Mais virtuel est-il égal à non existant?
Pour Frederic Jameson, théoricien américain contemporain, il y a trop de messages qui circulent et trop d’entre eux qui sont trop distincts, sans rapport entre les uns et les autres. Dans Le postmodernisme, ou la logique culturelle du capitalisme tardif, il remarque un grave excès de conformisme qui nous désapproprie nos sens de perception. Il suggère que les gens sont aliénés de leur vécu spontané et sans repères dans l’espace physique. S’il n’y a plus aucun rapport organique entre l’histoire apprise à l’école et la vie quotidienne contemporaine, comme il le suggère en invoquant une crise d’historicité, il manquerait également de rapports entre la superficialité des médias sociaux et la réelle profondeur de ce qui se passe.
Jameson essaie aussi de nous aider à expliquer pourquoi les militants sont une espèce moins nombreuse qu’avant. (Moi, je suis de l’avis que les étudiants sont conscients des enjeux, mais qu’ils sont trop contraints par leurs études et leurs emplois à temps partiel pour s’impliquer comme avant). Jameson établit une logique du gagnant qui perd. « Ce qui arrive est que la plus puissante la vision d’un système ou d’une logique […], plus impuissant le lecteur se sent. Dans la mesure où le théoricien gagne, donc, en construisant une machine toujours plus fermée et terrifiante, au même degré perd-il ». L’indignation ressentie par le lecteur apparaît vaine face au modèle lui-même. À quoi bon venir en aide à ce monde affreux et méchant que personne ne comprend?
Je me souviens que durant ma première année d’études, il y avait beaucoup d’affiches militantes partout sur le campus. Des manifs, des groupes de discussion, des événements, des collectes de fonds, etc. Il y avait tellement de choses militantes à l’Université que je pouvais à peine me garder à jour. C’était fantastique. En deuxième année, il y en avait un peu moins, mais quand même, j’avais beaucoup à faire. L’activisme se hocha encore la tête de temps à autre. J’étais parti en Europe en troisième année et depuis mon retour, j’ai l’impression qu’il ne se passe plus grand-chose comme avant, au moins dans le monde physique. De plus en plus, les affiches qui couvraient les babillards et les colonnes du Centre universitaire sont des pubs pour American Apparel.
Pourtant, je n’ai jamais reçu autant de pétitions électroniques de ma vie. Le slacktivisme est in.