– Par Frédérique Mazerolle –
Je suis née à Caraquet, au Nouveau-Brunswick. « La capitale nationale de l’Acadie », comme le panneau d’accueil l’indique. Une Acadienne pur-sang. Dès mon jeune âge, on m’a appris qu’il fallait célébrer cet héritage pour lequel mes ancêtres s’étaient battus de peine et de misère contre le Grand méchant anglophone. Mes souvenirs du 15 août se traduisent par beaucoup de bruits, de visages peinturés aux couleurs de ma patrie, de chandails « Bec moi, chu acadien(ne)! » et de rues remplies de gens proclamant haut et fort leur amour de l’Acadie. Seulement, je compris plus tard que la majorité d’entre eux voyaient tout simplement cette fête nationale comme une autre excuse pour prendre un verre (ou une bouteille) de trop.
À l’école, c’était encore la même histoire. Dès le primaire, nous connaissions tous l’histoire d’Évangéline et Gabriel, nos Roméo et Juliette acadiens, victimes du Grand Dérangement de 1755. Nous connaissions tous Louis-J. Robichaud, militant acadien, pour qui nous devions être reconnaissants, car c’est lui qui a fait en sorte que nous pouvions être éduqués en français. Nous connaissions tous les mots de la chanson « Réveille » de Zachary Richard, musicien cajun, qui nous rappelait les injustices et les exploits des héros acadiens. L’héritage acadien a été ancré dans nos têtes, que nous le voulions ou non.
Ayant habité à la fois dans le nord et dans le sud du Nouveau-Brunswick, il va sans dire que la réalité acadienne n’est pas la même partout. Au contraire, les Acadiens du sud de la province sont confrontés à une dualité linguistique plus prononcée qu’au nord. Bref, il n’était pas rare d’entendre des élèves parler le chiac ou même exclusivement l’anglais dans les corridors. Ils étaient cependant vite réprimandés par les enseignants, craignant l’assimilation linguistique contre laquelle bien d’autres s’étaient battus avant nous.
Avant de terminer mon secondaire, j’ai eu la chance de faire un stage dans un journal de ma région, l’Étoile. Comme premier texte, on m’avait offert d’écrire un texte subjectif sur le sujet de mon choix. Sans même y penser, je me suis assise devant mon ordinateur et j’ai transcrit ma frustration concernant les difficultés en français chez les élèves de mon école secondaire. Le texte fut publié la semaine suivante. Les commentaires ont été mixtes et par moment, désagréables. Ma frustration envers mon héritage linguistique n’a fait que grandir. Je voulais tout simplement pratiquer mon français dit standard et sortir de ma peau d’Acadienne.
Avant mon déménagement à Ottawa, on m’avait promis « des Acadiens en masse », ce que je voyais comme une couverture de sécurité, alors que j’ai plutôt eu droit à des anglophones unilingues, des étudiants en immersion française et à quelques exceptions des compagnons québécois et franco-ontariens. L’Acadie est partout, mais où était-elle à ce moment-là? C’est dès lors que j’ai compris l’envers de la médaille.
Sans renier le fait qu’il est important d’avoir une bonne maîtrise du français standard, j’ai également pris conscience de l’importance de mon héritage. Mon accent, que les gens remarquent dès mes premières phrases, fait partie de mon identité. Comment pourrais-je renier mon identité?
Il est évident que mon opinion de la francophonie change constamment. Elle va continuer de changer. Elle sera teintée par les gens que je vais rencontrer, par les médias, par mon Acadie. Cependant, une chose est certaine : on peut sortir l’Acadienne de l’Acadie, mais on ne peut pas sortir l’Acadie de l’Acadienne.