Gabrielle Pilliat
Les morts vivants déambulent sur tous les écrans. Nous sommes habitués au gore et au sang. Mais alors, pourquoi est-il devenu si difficile de parler de la mort ?
D’abord, parce que la mort est devenue tabou, livide secret. La mort-tabou aurait remplacé le sexe-tabou d’antan. « The Pornography of Death » de Gorer nous apprend en effet que l’on pourrait dorénavant expliquer la pénétration et la sodomie à nos enfants, mais que nous serions trop gênés de leur parler du processus naturel de la mort. Nous leur chuchoterions que grand-papa ne ferait que dormir, parce que la mort, il ne faut pas en parler. Pour ne pas choquer.
Ensuite, parce que la mort est devenue interdite. Nous reléguons aujourd’hui la mort aux frontières des portes blafardes des hôpitaux; ne vivant ainsi plus la perte d’un être en communauté, mais seul chez soi, devant un programme télé; nous ne veillons plus les morts, ne partageons pas notre souffrance suite à un deuil; en fait, nous ne voulons plus voir la mort. Nous ne voulons pas non plus en parler. Nous avons donc érigé un nouvel interdit, comme le disait Ariès. Ce qui, soit dit en passant, est paradoxal dans une société qui diffuse à de larges auditoires des scènes de mort, de violence, de Walking Dead, et qui prétend prôner la « transparence »… Si nous étions si « transparents », pourquoi ne parlerions-nous pas ouvertement de la mort?
Non, nous préférons à la place estampiller nos visages d’un sourire, même endeuillés à pleurer ; nous préférons voir les cadavres maquillés, parfumés ou simplement ne pas les voir. Nous préférons également placarder nos villes d’affiches ne montrant (en grande partie) que de jeunes et « beaux » humains, semblant immortels. Nous vivons dans une société qui DÉNIE la mort, qui l’interdit. Et nous faisons mine d’être heureux. Mais est-ce bien le cas?
Pourquoi ne pas parler de la mort ? Parce que c’est « négatif »? Mais soyons honnêtes, nous sommes faits de chair, et en ce sens, nous vivons une condition éphémère. Ne pas penser à la mort, c’est penser que l’on peut être heureux sans regarder une vérité essentielle, celle de la finitude.
Pensons-y maintenant : réfléchir à la mort nous permettra peut-être de réagir de meilleure façon à la souffrance qu’engendre la mort. Car dénier la mort, c’est ouvrir la porte à une meurtrissure inguérissable du cœur, ou ce que les « experts en psychologie » aiment à appeler la « dépression ».