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Par Charlotte Côté
Chronique
Ottawa : cette frontière linguistique où sont quotidiennement hiérarchisées les langues officielles canadiennes. Canada : cet espace multiculturel où sont hiérarchisées les langues parlées sur un territoire non cédé des nations autochtones. Francophonie : un enjeu commun qui, paradoxalement, hiérarchise ses nuances et ses couleurs.
Il y a quelques semaines, la conférence de la grande écrivaine tunisienne Hélé Béji sur l’avenir de la francophonie a constructivement exacerbé mon malaise face à la (aux) langue(s) française(s).
La Française en moi est révoltée du compliment chelou de certains compatriotes expatriés : « Enfin une personne qui parle le VRAI français! ». De l’autre côté, la Québécoise de moi ne supporte plus les malcommodes de ma belle province qui dénigrent les accents « bizarres » des autres.
Ce que je retiens d’Hélé Béji, c’est l’importance qu’elle accorde au « génie populaire » : le parler du peuple, où les règles se transgressent, les mots se déforment et les expressions naissent. Elle mentionne sa grand-mère, arabophone et analphabète, qui s’exprimait avec les métaphores, les mots et les styles les plus révélateurs. Si l’aïeule mélangeait les syllabes de ses mots, elle s’inquiétait peu : « l’intelligence du cœur est supérieure au pédantisme de l’esprit », comme l’a si justement dit Béji.
J’admire cette confiance qu’elle a en les capacités du français à exprimer sous toutes ses formes les réalités qui nous entourent. Et j’ose transposer une partie de sa réflexion ici, en contexte franco-canadien.
Car ma grand-mère est en fait comme la sienne. Elle parle le joual. Elle ne parle pas un mot d’anglais, mais elle a toujours utilisé (à mon grand désespoir) des mots comme « ovrailles » (overalls, salopettes) et « frème » (frame, cadre), qu’elle a appris à l’époque où l’anglais était la langue du pouvoir au Québec. Quand elle parle, elle chante; sa parole est pleine de vie, son accent, plein d’émotions, et ses images, pleines de vérités.
Oui, la grammaire, l’orthographe et la syntaxe, c’est important – je le crois profondément. On n’est jamais mieux outillé que par ses mots et par la diversité de ses modes d’expression. Mais parallèlement, reconnaissons la beauté des typicités.
On parle tout croche, peut-être, mais notre langue vit. C’est la nôtre : elle est symbole d’identité, de fierté, et de communauté. Elle est pleine de contradictions, mais on s’y comprend. Elle fait partie intégrante de qui nous sommes. Et si le professeur Biabanimilani, dans le cadre de son cours de philosophie, parle d’une lutte pour « libérer le langage des griffes du pouvoir », j’ose affirmer mon rejet de toute hiérarchisation des langues et des français.
Et je vous invite à faire de même.