– Par Ghassen Athmni –
Johan Gottfried von Herder, théologien et philosophe allemand du XVIIIe siècle, avait opposé à l’universalisme des Lumières de Rousseau et de Montesquieu, un certain volksgeist, un esprit caractéristique de chaque nation, et expliquait en gros que la différence identitaire prime sur ce qui unit les Hommes. Depuis, l’universalisme et les différents types d’identitarisme ne cessent de s’affronter de différentes manières.
L’espace francophone qui s’étend sur les cinq continents habités par les Hommes ne déroge pas à la règle. Lors des dernières décennies, les tendances identitaires ont pullulé ici et là, au point que le volksgeist a pris le large et que l’on considère maintenant que l’universel disparaît au profit du multiculturalisme. Ce dernier concept dont on fait la promotion à tort et à travers est à prendre avec beaucoup de précautions, Le multiculturalisme, à mon sens, est utilisé comme imposture et signifie moins la reconnaissance d’un commun entre personnes ayant une culture maternelle différente, que le fait d’associer des caractéristiques, des fonctions, voire des zones géographiques en particulier (Chinatown, quartier juif, etc…) à des groupes ethniques présumés avoir la même identité. C’est en tout cas ce que j’ai conclu de mon observation de ce qui se passe réellement entre les différentes « communautés ». Ce multiculturalisme s’apparente plus au volksgeist qu’à autre chose.
Quel rapport avec la francophonie? L’universalisme, la croyance en la primauté du commun entre les Hommes, n’est pas uniquement francophone, moins comme ensemble politique (Organisation internationale de la francophonie) que comme potentialité de communication et de collaboration entre un Fransaskois et un Wallisien par exemple. Elle a résisté pendant longtemps aux séparations identitaires et à l’attribution d’un espace en particulier à un groupe selon sa prétendue identité. Pourtant cette résistance s’est amenuisée, et l’espace francophone connaît de plus en plus une domination d’un multiculturalisme dont on se sert pour nier l’universalité de l’Homme. Dans les pays et régions où la langue française est dominante, cela se traduit par une transformation de la francophonie en un trait de l’identité de la nation, après avoir été un bien universel qu’on veut partager avec les autres. Dans les autres espaces faisant partie de la francophonie, et où le français n’est pas l’outil de communication principal, un rejet relatif est en train de se développer, toujours en rapport avec les questions identitaires.
La solution? La francophonie universelle et la propagation d’un français universel, qui n’appartient pas à une nation ou à un groupe en particulier, n’est à mon sens plus possible aujourd’hui. Face à l’écrasante domination de l’anglo-américain, la francophonie doit bien se garder de faire cavalier seul et de se confiner dans ses exceptions culturelles et de recroqueviller sur elle-même comme elle sait si bien le faire. La solution c’est d’admettre que l’universel ne peut pas être la culture française, ouest-africaine ou québécoise; l’universel doit être un agrégat de langues et de cultures différentes, puisqu’une seule langue ne peut suffire à la culture.