Chronique haïtienne | Qui est partant pour l’abolition du pâté chinois?!
– Par Élise Vaillancourt –
Depuis mon arrivée en Haïti, je retarde cette chronique qui traite pourtant de mon aspect préféré de l’existence humaine : la bouffe. Je suis une passionnée de nourriture, manger c’est mon sport préféré et j’excelle là-dedans. Je mange beaucoup et je n’ai a-u-c-u-n-e manière à table, un peu comme si j’avais un excès de bonheur à chaque fois que je voyais de la bouffe et que je l’exprimais trop mal. Du genre je mange la bouche ouverte et en salissant le ¾ de la table (Pour vrai, on s’entend, il y a des défauts pires que ça).
Ici, je vis pratiquement un rêve en ayant l’occasion de m’immerger dans une culture alimentaire aux antipodes de celle canadienne : la bouffe a un goût! Le régime alimentaire est super funky : la grosse mode, c’est du spag pour déjeuner (si t’es « chanceux », c’est accompagné de poisson fumé). Le dîner, c’est pratiquement une visite du seigneur : du bon riz haïtien, un petit morceau du poulet qui courrait dans ta cours hier, un avocat bien mûr, un bon jus maison… Et le soir, du pain et du beurre d’arachide maison avec de l’avoine. Oui, il y a presqu’une inversion du déjeuner et du souper. Et la journée est bercée au rythme du café, une fierté produite localement.
Dans tous les cas, ça change de l’apogée de la cuisine canadienne : le pâté chinois. Sérieusement, steak-blé d’inde-patate, c’est le pire concept sur Terre. Je sais que c’est faire avec des ressources canadiennes et que c’est un genre de simili-fierté mais vraiment, c’est fade et ça goute rien si tu mets pas de ketchup. Pi le ketchup, on s’entend que c’est clairement cancérigène. Dans les ingrédients, il y a « cancer » d’écrit entre « eau » et « sucre ». Je sais… j’ai lu les ingrédients.
Ici, plus tu manges, plus les Haïtiens sont contents. Le but inavoué de mes collègues de travail est de me rendre obèse pour qu’à mon retour au Canada, tout le monde sache qu’on a bien pris soin de moi en Haïti. Je suis certaine que mes parents vont être particulièrement heureux quand je vais être hospitalisée pour diabète ou pour obésité morbide.
La bouffe, c’est de l’amour matérialisé. Au Québec, c’est le montant qu’on te donne sur ta carte-cadeau H&M qui montre si les gens t’aiment, en Haïti, c’est le nombre de vergetures qui apparaît sur tes cuisses.
En parlant de bouffe et de vergetures, il devient essentiel de parler des préférences corporelles qui prévalent ici. Pour les Haïtiens de Sainte-Suzanne, il existe deux types de corps pour une femme : sexy et… grosse. Sexy, c’est l’image du corps féminin véhiculée dans la publicité ou la mode. Grosse, c’est quand t’as des hanches assez grosses pour accoucher bien rapidement, quand t’as de la chair et que tu es, conséquemment, bien nourrie. Donc, être grosse n’est pas nécessairement moins prisé qu’être sexy. En fait, bien souvent, le but des jeunes Haïtiennes est d’atteindre ce statut social. Autre fait surprenant : j’ai reçu bon nombre de compliments lorsque je ne rase pas mes jambes (avouez que vous êtes jalouses mesdames). On avait déjà dit que la perception de la beauté était relative?
Sur ces paroles clichées, je vous laisse, chers lecteurs, on m’appelle à la salle à manger.