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Arts et culture

Chronique haïtienne : Ode à la marche

21 octobre 2013

– Par Élise Vaillancourt –

On est maintenant trois « blancs » dans Sainte-Suzanne! Depuis deux semaines, je partage ma vie avec deux autres canadiennes, l’une de l’Alberta, l’autre de l’Ontario. Après avoir expliqué à mon superviseur local les différences culturelles et politiques entre le Québec et le R.O.C. (Rest of Canada), il a décidé de me laisser ma chambre à moi seule et que les autres allaient partager une autre chambre afin de limiter les malentendus culturels. J’ai ri. Mais bon, ça fait du bien d’avoir des repères plus familiers.

Pour ce qui en est de mon stage, j’avance dans mes recherches sur la gestion de risque naturel et ça fait de moi un être paranoïaque. La région que j’habite présentement est située sur une faille sismique importante et les risques de tremblements sont plus que présents : en dix-huit cents quelque-chose, la moitié des habitants de la ville du Cap Haïtien sont décédés suite à une secousse. C’est le genre d’informations que tu veux savoir et ne pas savoir en même temps. En gros, ça fait que je me fais des plans de sauvetage dans tous les lieux que je visite et que j’ai tendance à évaluer mes chances de survie à tout moment. La joie, quoi!

 

Pa gen pwoblèm : Y’a pas de troubles!

Il n’y a jamais de problème en Haïti, tout semble toujours être pris à la légère. La logique est la suivante : à la fin, tout va rentrer en ordre. Si les choses ne se sont pas encore placées, c’est que ce n’est pas encore la fin. Selon ma compréhension de personne-qui-a-fait-deux-cours-de-socio-et-un-d’-anthropo, c’est dû à leur perception du temps diamétralement opposée à la nôtre. En occident, on court après le temps, on le cherche, on en veut plus, on l’économise, on le projette, on l’organise et on le perd occasionnellement en jouant à Candy Crush. Bref, je suis prête à parier que de nombreux de l’U d’O seraient ceux qui voudraient payer cher pour un « Retourneur de Temps » pour organiser leurs semaines (référence geek à Harry Potter pour vous, Messieurs Dames).

Ici, tout devient un prétexte pour dépenser les heures, les minutes, les secondes. Les activités et les distractions sont si peu nombreuses qu’il devient nécessaire de prendre son temps pour accomplir tout ce que l’on veut, simplement pour se sentir plus occupé. Il faut dire que la communauté de Sainte-Suzanne où je vis présentement affiche un taux de chômage frôlant les 70 %. L’agriculture y est la principale source de revenu. En gros, y’a pas grand chose à faire si t’es pas passionné par l’observation du processus de photosynthèse. Donc, tout peut devenir une distraction. Genre, on ne te qualifie pas de sociopathe si tu passes ta journée assis sur ta galerie à regarder ce que font tes voisins. Dernièrement, il y avait une bataille dans la rue et, sans exagérer, la moitié du village était là à regarder.

J’ai bien dit regarder, personne n’intervenait pour séparer… les deux femmes.

 

Courir vers un mur

Je dois me confesser : à mon arrivée à Sainte-Suzanne, j’ai fait ce que j’ai baptisé « crise d’angoisse d’occidentale ». Vite dit, j’ai passé un mois à me ronger les ongles de ne rien faire et de ne pas être assez efficace ou proactive (mot-valise bien apprécié dans la bureaucratie canadienne). On dirait que mon environnement, dès ma naissance, m’a fait développer une peur de prendre mon temps, de m’asseoir, ou même d’évaluer avant d’agir. Que j’aille ce besoin d’avancer toujours plus vite, de foncer dans la vie. Haïti m’aide à questionner ces idées. Sincèrement, si j’ai le choix entre courir vers ma mort ou marcher, je préfère de loin marcher et ralentir. Ça te laisse le temps d’observer et de comprendre davantage ce qui t’entoure et ceux qui t’entourent.

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