– Par Élise Vaillancourt –
Dans ma dernière chronique, je vous entretenais sur la nécessité de ralentir. Bien que j’adopte cette philosophie, j’ai maintenant fait le tiers de mon temps ici et j’ai l’impression que d’immenses parts de la culture haïtienne restent totalement hors de ma portée. Deux mois sur le terrain, ça répond à quelques questions mais ça vient tracer des milliers de points d’interrogations plus importants. Au centre de ceux-ci, la relation qu’entretien Haïti avec ces racines africaines, notamment a travers l’omniprésence du vodou.
Catalyseur de révolte
Arrachés de leurs terres et de tout ce qui leur était familier, les esclaves d’origines africaines ont transportés avec eux leurs systèmes de croyances et leur pratiques dans les Antilles. Dans cet enfer déshumanisant, le vodou devenait une attache à la terre natale, une forme de résistance pour conserver la dignité humaine.
À l’époque coloniale, la pratique de la religion ou de la culture vodouisante était passible de la peine de mort ou d’emprisonnement à vie, ce qui n’a pas empêché les fidèles de continuer à pratiquer. C’est ce fait même qui fit du vodou une arme importante dans la révolte des esclaves. Les historiens s’entendent pour dire que la cérémonie de Bois-Caïman, en 1791, auraient donné naissance au mouvement de révolte.
L’image cruelle que l’occident se fait du vodou pourrait, quant à elle, être comprise également comme une stratégie de résistance, les esclaves ayant réussis à utiliser le mystère entourant cette religion pour renverser la balance de pouvoir et installer la peur chez les colons. C’est cette image négative et clichée du vodou, dont l’apogée est la poupée vodou martyrisée par des épingles, qui est trop souvent connue à l’étranger.
Chants, danses, possessions
Un ami nous a amené dans une cérémonie vodou. Celle-ci était organisée autours d’un arbre mapou, un objet de culte dans les campagnes haïtiennes – on dit qu’ils sont l’hôte d’un esprit. Autours de l’arbre, une trentaine de personnes allumaient des bougies, chantaient et dansaient. Sur place, trois joueurs de tambours. Au centre du cercle, un Hougan, un genre de marabout pour les pratiquants du vaudou. L’ambiance est festive, le rhum et la bière coulent à flot, malgré qu’il soit 14h. Le Hougan, peint de blanc, a une cigarette dans chacune de ses narines et chacune de ses oreilles (peut-être pour arriver plus rapidement en transe ?). Tout ce que je vois m’est complètement incompréhensible. Une jeune fille semble possédée pendant un court moment, elle tombe au sol. Les curieux accourent. La rumeur veut qu’elle fasse semblant, qu’elle n’a pas de lua, un concept que je peux rapprocher à celui d’esprit. D’autres entrerons aussi dans des transes semblables, les «rites d’incorporation» étant chose courante.
Voilà mon expérience la plus concrète avec le vodou. Une incompréhension totale doublée d’une fascination. C’était une scène irréelle que j’avais devant mes yeux.
De culture vodouisante
Jusqu’à présent, la pratique du vodou se fait discrète, l’héritage d’un néocolonialisme de l’esprit. Un ami m’a dit que tous les haïtiens ne sont pas vodouisant, mais que tous sont de culture vodouisante. C’est dans les pratiques mêmes du vodou qu’on constate le plus grand héritage africain en Haïti et c’est magnifique. J’y vois le partage et l’entraide que j’ai pu voir dans la culture sénégalaise. Bien nombreux sont ceux qui veulent voir les haïtiens embrasser davantage leurs racines africaines.
Un ami de la diaspora haïtienne m’avait dit que l’énigme du retour dont parle Laferrière, devrait remonter jusqu’en Afrique de l’Ouest. Je ne peux qu’en être davantage convaincue.