Par Ghassen Athmni
« Le soccer c’est juste 22 gars pas très smart qui courent derrière un ballon. »
Le football association, communément appelé soccer en Amérique du Nord, est bien plus que cela. Ceux qui ne font pas attention à pourquoi ce sport, et le sport en général, attirent les foules en tant que divertissement, finissent souvent par envelopper d’un ramassis de clichés un postulat négatif qui dénote une aversion pour les intérêts du commun des gens, souvent caractéristique d’une certaine intelligentsia et de certains courants politiques.
En tant que manifestation d’une palette technique et tactique complexe, le sport perpétue l’aspect artisanal de l’art. La reconnaissance du travail en amont, de la beauté des attitudes du corps, des gestes techniques qui en sont à l’origine et du savoir-faire qui ne sont pas donnés au néophyte, jouent un rôle dans le divertissement. C’est aussi le fait que le sport se déroule en temps réel, que ce soit un spectacle où le scénario n’est pas écrit d’avance, lors duquel il y a tant de variables à prendre en compte et tant de coups de théâtre. C’est cette combinaison entre la longue et laborieuse acquisition de la technique, de la science du jeu et l’immédiateté et la précarité d’une série de moments imprévisibles qui en fait le spectacle tant apprécié par les foules.
Les sports les plus suivis, tel le soccer, offrent également, depuis la deuxième révolution industrielle, un espace d’organisation sociale quand le rapport aux autres intérêts communs, comme la gouvernance politique, semble plus difficile d’approche. Les associations de partisans comptent, dans certains pays comme l’Italie ou l’Angleterre, des centaines de milliers d’adhérents par club et offrent dans leurs locaux des activités récréatives à la communauté, certaines associations ont même leurs propres bibliothèques, d’autres organisent des concerts (souvent dans des cafés ou des bars qu’elles abritent) ou encore des excursions familiales. Les Blue Tigers, association de partisans du club de soccer italien de Naples, implantée dans les quartiers les plus pauvres de la ville, ira même jusqu’à consacrer une partie de ses locaux aux jeunes sans abris en difficulté avec leur entourage familial. D’autre part, certaines associations se sont même transformées en entreprise, ayant des commanditaires et proposant leurs propres produits dérivés.
Les tribunes des stades de soccer sont aussi le théâtre d’affrontements idéologiques. Entre certains groupes d’ultras laziali (de la Lazio de Rome) affiliés aux courants fascistes et ceux de Livourne, positionnés clairement à gauche avec toute l’imagerie qui s’y rattache. Les partisans du club allemand de Saint Pauli se mêlent régulièrement aux manifestations antifascistes et ont des liens étroits avec la culture punk. Les fans de Liverpool sont connus pour leur farouche opposition à l’ancienne première ministre britannique Margaret Thatcher. À plusieurs reprises, des groupes de partisans vont s’associer à ceux d’autres clubs pour raison d’affinité idéologique. Cela va même jusqu’à toucher les sportifs: durant la dictature militaire au Brésil, le Corinthians FC a ouvertement promu la démocratie sous la houlette du capitaine de l’équipe nationale Sócrates.
Le sport en général et le supporterisme en particulier sont des phénomènes dignes d’une plus grande attention, les ignorer ou les écarter, les opposer à la culture, à l’art ou à l’engagement politique serait une grossière erreur.