Yasmine Mehdi
C’est Noël et tu détestes l’Université. Voilà, c’est tout.
Correction : ce n’est pas l’Université en soit que tu détestes, même si les danseurs du UCU et la queue interminable du Tim Hortons de EITI ont le don de t’irriter. Tu détestes le Savoir que cette institution t’apporte parce qu’elle te vole ta naïveté.
Tu penses avec nostalgie aux jours où tu pouvais déguster un peppermint mocha sans penser aux pauvres fermiers d’Amérique du Sud. Tu aimerais pouvoir acheter un cardigan à ton père, mais tu ne peux le faire sans avoir une once de culpabilité pour les enfants bangladais qui ont travaillé à sa confection.
Tu es venue à l’Université sans trop te questionner. Tu croyais que c’était une suite logique de ta vie, une étape obligatoire de ta quête vers l’autosuffisance. Tu as choisi un domaine d’étude comme on choisit un t-shirt en solde, sans l’essayer, sans trop y penser, en te disant qu’il devrait t’aller.
Sauf que les cours que tu as choisis à la hâte, non sans l’aide de Rate My Prof, sont en train d’opérer en toi un changement tangible, mais inqualifiable. Tu t’intéresses à l’actualité, tu as voté lors des dernières élections et pire encore, tu n’achètes plus de bouteilles en plastique.
Crise identitaire : tu ne sais plus trop si le savoir est un ajout à ta merveilleuse personne, ou si au contraire, il s’est emparé d’une partie de toi. Tu te dis que les gens intelligents doivent forcément être les plus malheureux sur Terre et que le jeu n’en vaut pas la chandelle. Après tout, mieux vaut être un abruti heureux qu’un érudit misérable.
Sauf que sous cette crise identitaire se cache une autre réalité. Il se trouve que tu aimes bien la nouvelle toi, celle qui pourra enfin débattre avec son oncle un peu ivre et très xénophobe lors d’un interminable souper de Noël.
Tu te dis que le savoir, tout comme la perte d’innocence, est inévitable. Sauf qu’en attendant de te soucier de rides ou de cheveux blancs, il existe encore une ville, à quelques heures de route, où la nouvelle toi n’existe pas encore. Une ville où ta mère préparera sa fameuse dinde rôtie et où tu joueras dans la neige comme quand tu avais cinq ans.
C’est Noël et finalement, ta vie n’est pas si mal que ça.