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CHRONIQUE: En attendant que la poussière retombe

31 octobre 2016

Par Yasmine Mehdi

Dimanche 16 octobre, minuit, 109 Osgoode. Comme chaque dimanche, La Rotonde prépare son édition de la semaine. Cette fois c’est un peu différent. Enfin, je ne sais pas si c’est le cas pour tout le monde, mais pour moi ça l’est assurément.

Les pages 6 et 7 sont signées en mon nom. Je suis un peu contente, ou plutôt, j’ai un sentiment de devoir accompli. Un peu comme quand j’appelle finalement le médecin pour fixer mon rendez-vous annuel. Pour moi, comme pour ma rédactrice en chef, c’est la matérialisation de plusieurs semaines de travail, de recherche, d’enquête.

On se doute bien que l’article va faire jaser. Jusqu’à quel point? Je ne crois pas que je le réalise à ce moment-là. Je sais que mon travail sera critiqué. Qu’on me reprochera d’avoir eu un parti pris. D’avoir rendu public un événement privé. De faire du mal à la réputation de l’Université d’Ottawa. D’être une féministe radicale.

Je suis certaine que ces critiques ne m’affecteront pas. Après tout, j’ai fait mon travail avec sérieux, j’ai servi l’intérêt public. Je me dis que les gens qui critiqueront mon éthique n’étaient pas avec moi lors de la rédaction de l’article. Quand je suis restée réveillée jusqu’au petit matin à essayer de trouver un synonyme plus neutre à un mot qui aurait pu sembler connoté. Quand je me suis cassé la tête à vérifier et à re-vérifier toutes les informations. Quand j’ai usé et abusé du conditionnel présent.

J’ai pris la décision de n’inclure aucun nom dans l’article. J’aurais pu. J’étais sur place le 7 octobre dernier. J’ai reconnu plus d’un visage. Mais bon, je me disais que de personnaliser les choses serait une erreur. Naïvement, je croyais qu’on pourrait traiter de cette histoire de manière thématique, et non épisodique. Parce qu’il me semblait clair que le Vet’s Tour n’était pas qu’un évènement, mais bien le symptôme d’un phénomène beaucoup plus grand.

C’est ironique quand même. J’ai voulu éviter de personnaliser les choses, mais du jour au lendemain, je me suis retrouvée presque liée par le sang à cette histoire.

L’enquête d’un journaliste, c’est un peu comme son bébé. Sauf qu’en principe, on abandonne ses droits sur l’enfant une fois qu’il est lâché dans la sphère publique. C’est les autres qui doivent y réagir, se l’approprier, l’applaudir, le dénoncer, en discuter. J’espérais qu’on aurait des discussions constructives sur le consentement éclairé. Sur la culture du viol. Sur les solutions à envisager. Sur la vision qu’ont les jeunes de la sexualité. Mais non.

Parce qu’au final, c’est surtout moi qu’on a critiquée. J’aurais écrit cet article parce que j’avais un « agenda caché », que je voulais « imposer la sharia », que « personne ne voulait avoir de rapports sexuels avec moi ».  Est-ce que les réactions auraient été aussi virulentes si j’avais signé l’article Jasmine Meilleur et non Yasmine Mehdi? J’imagine que la question se pose.

J’ai un peu envie que tout se tasse. Que je puisse recommencer à faire mon travail comme avant. Je ne sais pas trop à quel point ça sera possible. En attendant que la poussière retombe, je marche sur le campus en essayant de me convaincre que tout est comme avant, même si au fond tout est un peu différent.

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