Christine, celle qui se battait pour son Université la croie : « Malgré tout ça, je suis l'une des filles les plus chanceuses au monde »
Par Clémence Labasse
Christine a un rêve. Elle voulait devenir avocate, maintenant, parajuriste. Pour pouvoir accomplir son rêve, comme beaucoup d’autres, il lui fallait un diplôme. C’est pourquoi, il y a 8 ans, Christine s’est enrôlée à l’Université d’Ottawa, à 550 km de sa ville natale de Saint Catharines, en Ontario. Cependant, la jeune femme est atteinte d’une condition mentale permanente, de trouble de stress post-traumatique (TPST) et de trouble de la personnalité limite, en plus d’avoir de l’anxiété et du stress. Elle a voulu partager son périple avec nous.
J’étais à la rédaction vendredi soir, lorsque la sonnerie du téléphone a retenti. Somme toute, rien d’inhabituel. J’ai décroché le téléphone : « La Rotonde, bonjour? » À l’autre bout du fil, une voix hésitante a répondu : « Bonjour je m’appelle Christine. J’ai entendu dire que vous cherchez des témoins pour votre édition sur la santé mentale? » Nous nous sommes donné rendez-vous le lendemain.
Samedi, une jeune femme aux cheveux de feu, accompagnée de deux amies, est arrivée aux bureaux de La Rotonde. En lui serrant la main, j’ai cru voir, l’espace d’un instant, une lueur d’appréhension dans ses yeux, vite remplacée par la flamme d’une détermination sans faille.
Elle s’assoit sur un de nos canapés rouges, sort une pochette remplie à craquer de documents et, sans que je lui pose la moindre question, commence son témoignage.
Un témoignage bouleversant.
Huit années de combat.
« Je m’appelle Christine Moncrieff, je suis étudiante à l’Université d’Ottawa depuis l’automne 2007 et, si tout se passe bien, en décembre 2015, je devrais enfin obtenir mon baccalauréat en criminologie avec une mineure en études des femmes. »
Pendant près de deux heures, nous avons discuté. En 8 ans, la jeune femme aura vu près d’une dizaine de docteurs différents, médecins de famille, psychiatres, psychologues ou urgentistes. Pristiq, Wellbutrin, Lithium, des dizaines de médicaments différents lui auront été prescrits. Elle aura tenté deux fois de mettre fin à ses jours.
Mais quand elle repense à ses huit années, ce qui l’aura le plus marqué est la colère. La colère de devoir se battre encore et encore pour que son établissement la croie. La colère de devoir épuiser ses forces mentales à obtenir un justificatif médical ou une prescription. La colère d’être vue pour ce qu’elle n’est pas.
2008-2009 : L’impossible addition diagnostic-accommodements
« De 2008 à 2009, le SASS m’a fourni des accommodements. Un seul à vrai dire, un espace tranquille et isolé pour faire mes examens », commence l’étudiante. « Pour plus, il me fallait un diagnostic plus sérieux. J’ai aussi réussi après quelques mois d’attente, et la recommandation d’un médecin, à voir quelqu’un de la clinique psychiatrique de l’U d’O, au 1, Nicholas. »
En 2008, c’est la crise économique. Le père de la jeune fille, qui devait payer ses études, perd son emploi et devient sans-abri. Christine commence alors à travailler deux emplois, en plus d’aller à l’école à temps plein. Au bout de quelques mois, en 2009, épuisée, elle fait une dépression nerveuse et est incapable de se rendre aux examens finaux pour trois de ses cours.
« Sur une des premières lettres qu’il a écrites à mon sujet, en 2009, le psychiatre refuse de reconnaitre que j’ai une maladie permanente. Il écrit ‘on-going’. À vrai dire, il avait peur qu’en utilisant le mot permanent, je m’enfonce dans ma maladie et n’essaye pas de m’en sortir. Mais sans ce simple mot, il m’était impossible d’avoir accès à des accommodements plus appropriés », raconte Christine. « Ce docteur de l’Université ne semblait pas comprendre ce dont j’avais besoin. »
Incapable d’expliquer la situation à l’Université, et sans les justificatifs nécessaires, on écrit sur le bulletin de l’étudiante que celle-ci a échoué ses courts.
2010-2011 : Entre incrédulité académique et ressources financières incertaines
« Le 17 février 2010, j’ai reçu une lettre de la Faculté des sciences sociales m’informant qu’en vertu de mes précédents échecs, je devais me retirer de l’Université », explique l’étudiante, en me tendant une lettre. « Mais ces échecs ne représentaient en rien mon niveau de compréhension de la matière des cours, simplement, les fluctuations de ma maladie. »
Après un combat d’un mois, en mars 2010, la Faculté accepte de la réintégrer à son programme.
« Je venais de terminer un combat pour rester à l’Université. Je n’avais pas la force ni la confiance en moi pour aller parler à mes professeurs de ma condition, ou leur demander que quelqu’un prenne des notes pour moi volontairement, comme ma conseillère au SASS me le proposait », élabore-t-elle. « Personne ne s’est porté volontaire. »
« En 2011, mon psychiatre de l’U d’O décide que je ne pouvais pas aller à l’Université. Il me diagnostique avec la cyclothymie et indique que ce qui déclenche du stress chez moi est purement académique. Il me conseille d’appliquer au Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées (POSPH) pour du soutien financier. »
L’étudiante y reste pendant six mois avant d’arrêter le programme. Alors que sa mère a travaillé toute sa vie pour qu’elle ait des opportunités, elle se sent coupable de devoir demander de l’assistance sociale. Le 31 mai, elle fait demande à RAFÉO, programme de bourse étudiante de l’Ontario.
C’est le début d’une nouvelle lutte. Chaque année, afin de renouveler sa bourse, Christine doit envoyer une lettre et des justificatifs sur sa condition, qu’elle sait permanente, pour tout justifier ses échecs scolaires.
2012 – 2013 : Quand du jour au lendemain, tout bascule.
« L’été de 2012, un de mes meilleurs amis m’a agressé sexuellement alors que j’étais endormi », évoque la jeune femme. « J’ai essayé de continuer mes cours, mais je les ai rapidement lâchés. »
Le 29 novembre 2012, Christine Moncrieff essaye de se suicider. Pendant 3 jours, après une overdose, son cœur ne fonctionne plus correctement.
« Je n’ai pas pu retourner au travail. Je n’ai pas pris de cours cet hiver. J’ai payé de ma poche, 100 $ par session, pour pouvoir avoir accès à un psychologue, je ne voulais plus revoir le psychiatre de l’U d’O », se rappelle la jeune femme. « Il m’avait mis au Lithium et sous presque de 5 autres pilules. Je vomissais chaque nuit. Lorsque j’ai demandé quelles autres ressources étaient disponibles, il m’a parlé d’un groupe de soutien en janvier. J’étais incrédule. »
Grâce à l’aide de son médecin de famille à la clinique, après un an et demi, Christine fini par pouvoir voir un psychiatre au Royal Mental Health Centre. C’est à ce jour son psychiatre et, elle avoue, une des personnes qui l’a le plus aidé.
Entre temps, elle consulte un autre psychiatre de l’U d’O, spécialisé en médicaments, qui réalise que la jeune fille est surmédicamentée. Il change sa prescription et tout semble alors aller pour le mieux.
2014-2015 : Le premier jour du reste de sa vie
« En 2014, j’ai eu un épisode maniaque. Je me sentais comme le maitre du monde. Mais cela ne pouvait durer très longtemps. Un jour, alors que je devais remettre un projet, je me suis convaincu que j’allais encore une fois échouer et que le cycle recommençait », explique-t-elle. Les médicaments ne fonctionnaient plus.
Un groupe de soutien s’organise autour de la jeune fille, alors suicidaire. Son compagnon Danik, sa mère et ses amies se relayent pour la surveiller. Mais elle arrive tout de même à trouver des pilules. Pour la seconde fois, elle tente de mettre fin à ses jours.
Avec l’aide de ses proches, pourtant, Christine a surmonté cette épreuve. Aujourd’hui alors que son diplôme est en vue, elle dit avoir finalement eu accès aux accommodements dont elle avait besoin.
Le SASS, qu’elle avait cessé de visiter, l’aide maintenant à parler à ses professeurs, qui comprennent et tentent de l’accommoder du mieux qu’ils peuvent. Une personne prend des notes pour quand elle ne pas assister à un cours. « J’ai remis tous mes devoirs à temps, je suis confiante que je vais enfin pouvoir graduer. »
Christine, pas une victime, une survivante.
Après son long témoignage, il me prend l’envie de lui poser une question qui mettrait beaucoup de personnes dans sa situation mal à l’aise… Tant pis, j’y vais : « Dans 5 ans, où te vois-tu? » Elle me regarde, sourit et me dit simplement : « En vie. »
« Malgré tout ce qui m’est arrivé, je suis l’une des filles les plus chanceuses au monde, » tient-elle à ajouter. « J’ai un système de soutien sans failles, un partenaire aimant, et une mère qui a tout fait pour moi. Je suis la première génération de ma famille à aller à l’Université. Tu ne sais pas à quel point ma mère est fière. »
Elle continue avec entrain : « Je garde tout de même de bons souvenirs de mon temps ici. Comme beaucoup de gens, je pense que les amis, la famille, que je me suis fait ici contribue à mes meilleurs souvenirs. »
« J’ai pour passion l’activisme. En m’impliquant avec la FÉUO sur le campus pendant 6 ans, j’ai rencontré des personnes extraordinaires. Lors de la manifestation de 2009 contre la hausse des frais de scolarité [ndlr. la plus grande qui n’ait jamais eu lieu sur le campus], j’ai pu prendre le micro et parlé » raconte-t-elle, le sourire aux lèvres. « Sinon j’aime beaucoup peindre, cela m’aide à m’exprimer autrement, à travers la couleur et la texture. »
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Christine n’est pas une victime. Christine est une étudiante. Christine est féministe. Christine est une survivante. Elle rit, elle pleure, elle vit.
Si elle était là, ce samedi avec moi, ce n’était pas pour que je m’apitoie sur son sort. Ce n’était pas non pour pousser un cri de révolte contre l’ensemble du système universitaire. C’était tout simplement pour partager un message d’espoir.
« Pour moi, tout cela n’a plus beaucoup d’importance; je serais bientôt diplômé. Je voulais seulement dire, à quiconque pourrait vivre une expérience un tant soit peu similaire, que tant que tu continues d’avancer, il est possible de s’en sortir. Fuck ce qu’ils peuvent tous dire, tu as réussi jusque-là! »