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Arts et culture

Chier de quoi sans pouvoir se chier soi

11 février 2019

Par Emmanuelle Gingras

En lisant cette chronique, il faut savoir qu’il s’agit d’une autre critique sur l’apport des réseaux sociaux sur les perceptions. J’ai pris l’initiative, pendant 1 mois, de me détacher de Facebook, Instagram et Snapchat afin de témoigner de l’impact que cela aurait sur ma créativité. Les résultats ne m’ont point surprise…

Dans la vie, j’écris. Poésie, théâtre, nouvelle ; j’inspire la vie pour l’expirer en mots. Depuis environ 3 ans, j’ai pris l’initiative d’écrire presque tous les jours. Toutefois, au cours de la dernière année, j’ai su remarquer une dégénération plutôt radicale de ma productivité créative. Je vous expliquerai donc ici un peu comment les réseaux sociaux ont tué ma créativité.

Ne plus être à l’écoute de l’inspiration

Il serait malhonnête de dire que je n’ai pas une fois consommé les réseaux dans ce mois d’abstinence. Avec l’emploi que j’ai, le tout était plutôt difficile à éviter. Toutefois, je me suis limitée à des recherches qui contribuaient purement à mes besoins professionnels et j’ai évité tout browsing ou, comme j’aime l’appeler, « jeu comparatif ».

Le plus difficile fut de cesser l’habitude. C’est comme si mon corps, inconsciemment, se dirigeait vers mon téléphone selon les situations de la vie de tous les jours qu’il me fallait à tout prix éviter : combler des malaises, l’ennui ou la solitude ou encore même écouter quand je ne voulais pas écouter, que ce soit en cours ou dans des contextes sociaux. Les réseaux sociaux ont donc pris pour moi une forme de béquille pour les choses de la vie que je ne voulais pas confronter.

C’est comme si en prenant cette habitude, je me suis aveuglée à tous ces moments d’inconfort qui, à titre d’humaine, devaient être vécus pour réellement me comprendre et comprendre ce qui m’entourait. Et c’est comme si en arrêtant les réseaux, je suis devenue plus attentive aux raisons des inconforts ; j’ai donc ouvert mes yeux aux problèmes et en devant les confronter, j’ai appris à les comprendre et à mieux les décortiquer.

J’ai donc appris à confronter mes crises de page blanche par l’écoute qui me fut imposée.

Ne plus connaître sa tête

J’ai pu me servir de ma solitude pour réfléchir, plutôt que de la compenser par la vie d’un.e autre. Je me suis en fait sentie moins seule dans les moments de solitude parce que je les acceptais plutôt que de plonger dans ce grand lieux de rencontre dont il faut être témoin que sont les réseaux sociaux.

J’ai pu enfin être dans ma tête, pleinement, et non dans celle d’une intelligence collective décidée, prévisible et mortelle aux idées.

J’ai compris que j’avais en fait peut-être plus de problèmes d’estime dans mon écriture que je ne le pensais, les réseaux étant devenus une machine encombrante où l’art des autres décourageait le mien. Le syndrome du « tout a déjà été fait » me kickait dans l’dash constamment.

J’ai compris qu’il me fallait voir le vide pour le confronter, et non le combler par le social. L’inspiration pour l’écriture peut certes être initiée par ce qui entoure, mais vient avant tout d’un instinct intérieur qui prend du recul sur la convention et qui se plaît à la décortiquer. Et la mienne était bloquée dans ma tête, prise par des images et des images et des concepts et des concepts qui semblaient répondre pour moi à ce que je ne comprenais pas. À ce que j’avais moi-même besoin de décortiquer.

Ainsi, oui, j’ai écrit comme je n’avais pas écrit depuis des mois. Je ne nierais pas l’apport des réseaux sociaux sur la diffusion efficace de l’art, mais il faut savoir s’en servir intelligemment. L’inspiration, pour moi, se trouve chez les gens, dans leurs imperfections et dans les miennes ; il faut donc les vivre à tout prix et ne pas se distraire pour les éviter. Ma conclusion est la suivante : les réseaux sociaux rendent sourd à ce qui crie d’être abordé, à ce qui crie d’être pris en charge dans la créativité.

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