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Opinions

Charte des valeurs : Une atteinte à la laïcité?

27 janvier 2014

– Par Anna Logie –

Le débat autour de la Charte des valeurs est un débat sur la définition même de la laïcité. La séparation entre l’État et la religion est un concept philosophique dont les implications pratiques ne sont pas évidentes.

Les voix pro-Charte prétendent que la laïcité requiert l’absence de signes religieux (kippas, turbans, hijabs) dans la fonction publique. Selon eux, les fonctionnaires, en tant que représentants de la province québécoise, doivent être neutres, et cette neutralité requiert l’enlèvement de leurs signes religieux pendant les heures de travail.

En réplique, les voix anti-Charte accusent les militants pro-Charte d’être racistes et repliés sur eux-mêmes. Cependant, les personnes en faveur de la Charte ne se voient pas comme des xénophobes. Ils se disent plutôt des gens modernes et éclairés. Ils demandent l’enlèvement des signes religieux parce qu’ils croient sincèrement que ce sera facile pour les fonctionnaires religieux de les enlever. C’est cette attitude qui sous-tend la quasi-totalité des arguments en faveur de la Charte.

Pourquoi les militants pro-Charte croient-ils qu’il serait facile pour les fonctionnaires religieux d’enlever leurs signes religieux? Comme l’explique le philosophe québécois Charles Taylor, la majorité des Québécois en faveur de la Charte appartiennent à ce qu’il appelle les « religions invisibles », tandis que les personnes ciblées par la Charte appartiennent aux « religions visibles ».

D’un côté, les religions (ou philosophies morales) invisibles sont celles dont les adhérents ne sont pas identifiables par leur apparence (c.à.d. l’athéisme, le christianisme). De l’autre côté, les religions visibles sont celles dont une grande partie des adhérents peuvent être identifiés par leur apparence car ils portent un signe religieux sur leur corp (c.à.d. le sikhisme, l’islam, le judaïsme orthodoxe).

Il est difficile pour les personnes appartenant aux religions invisibles de se mettre dans la peau de celles qui appartiennent aux religions visibles. Certaines d’entre elles se sentent à l’aise à forcer le Juif d’enlever son kippa, la musulmane son hijab, et le sikh son turban, car elles ne conçoivent pas comment leurs besoins religieux seraient différents si elles appartenaient à une religion visible.

Voilà pourquoi les personnes pro-Charte sont principalement catholiques ou athées. Requérir l’enlèvement des signes religieux dans la fonction publique n’aura aucun impact sur les personnes appartenant aux religions invisibles. Cependant, il forcera les personnes appartenant aux religions visibles à choisir entre leur emploi et leur foi.

Ainsi, par l’interdiction du port de signes religieux, la Charte des valeurs crée une hiérarchie religieuse dans laquelle les religions invisibles sont acceptables dans la fonction publique mais les religions visibles ne le sont pas. Promouvoir ce type de discrimination religieuse est-elle une position neutre? La réponse est évidente. Un État neutre traite chaque citoyen sur un pied d’égalité, peu importe si leur religion soit visible ou invisible.

En fin de compte, le Parti Québécois n’a aucun monopole sur la laïcité ou la neutralité. Au contraire, il réclame une hiérarchisation. Au nom de la neutralité, il réclame la hiérarchie. Au nom de la laïcité, il réclame la ségrégation. Le Parti Québécois fait preuve d’une double pensée impressionnante.

Bref, ce n’est pas seulement au nom des droits humains que les militants du Mouvement inclusif s’opposent à la Charte. Ils le font également au nom de la laïcité de l’État et pour protéger la Révolution tranquille.

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