Par Gabrielle Lemire, Cheffe Arts et culture
Une comédie québécoise qui aborde la sexualité débridée d’une adolescente, sans prince charmant ni fée marraine, ça ne se voit pas tous les jours. Charlotte a du fun est une comédie dramatique mettant en scène Morgane (Romane Denis), Aube (Rose Adam) et Charlotte (Marguerite Bouchard), trois adolescentes de secondaire 5 embauchées dans un magasin de jouets suite à la révélation de l’homosexualité du copain de la dernière. Le réalisme du film nous projette dans un long-métrage sur les doubles standards entre filles et garçons au niveau de la sexualité au début de l’âge adulte.
Un film réaliste revendicateur
Le long-métrage écrit par Catherine Léger et adapté par la réalisatrice Sophie Lorain met en scène Charlotte, en peine d’amour, qui réalise pendant une fête qu’elle a eu des relations sexuelles avec tous ses collègues de travail masculins. Un de ses collègues la félicite pour sa « fiche parfaite » avec un air narquois qui traduit un certain mépris. Un mépris qui révèle le double standard dans la manière de traiter la sexualité chez les hommes et les femmes.
En voulant s’éloigner d’une dépendance affective qui régit tous ses rapports, surtout amoureux, Charlotte devient (un peu trop) libre. Entre la bande sonore de la diva Marie Callas et les dédales de couloirs et de miroirs du magasin de jouets dans lequel les personnages évoluent, Charlotte est étiquetée « salope, dans le mauvais sens du terme ». Celle-ci décide, après l’effort des garçons du magasin pour amasser des fonds dans le contexte de Movember, de rallier les clients à la cause d’abstinence des employées femmes du magasin.
Mais qu’est-ce qui choque le plus le spectateur? Le fait que ce soit d’un réalisme poignant.
« Comment on parle, comment on est, comment on pense… J’ai tout de suite su que c’était un projet important » confie Rose Adam, l’interprète du personnage d’Aube, la romantique du trio. La comédienne de 18 ans affirme que Charlotte a du fun est le projet qui a pris le plus de place dans sa tête jusqu’à maintenant, vu l’étude en profondeur des personnages effectuée avant le tournage.
Aborder le sujet tabou de la sexualité des adolescentes sans forcer le drame ni le romantisme, c’est ce que la réalisatrice Sophie Lorain cherche à exploiter avec Charlotte a du fun.
La femme est sa plus grande critique
C’est également un clin d’oeil à la tendance de la femme à être très critique envers soi-même par rapport à sa sexualité. Telle la diva Maria Callas, Charlotte est impulsive, passionnée et agit parfois sans raisonnement. Ces traits de caractère n’enlèvent toutefois absolument rien à l’aspect très sain et plaisant des relations de Charlotte avec ses collègues.
« Les filles, on le sait, la personne qui nous juge le plus dans le monde, c’est nous-même. » ajoute Marguerite Bouchard, 17 ans, l’interprète de Charlotte. Celle-ci s’interroge sur la réception du film par les femmes des autres générations : « Je suis curieuse quant au regard des femmes, est-ce que les femmes vont se reconnaître là-dedans? ». La jeune comédienne se dit néanmoins choyée de pouvoir transmettre à l’auditoire la perception sans tabou de son entourage à l’égard de la sexualité.
Un milieu en mouvement
Le long métrage s’inscrit dans un mouvement d’émancipation de la femme dans le milieu du cinéma. Selon le producteur de Charlotte a du fun, Martin Paul-Hus, 7 films sur 11 produits au Québec cette année sont réalisés par des femmes. « Tous les producteurs cherchent des femmes comme réalisatrices », indique Paul-Hus. Toutefois, celui-ci rappelle qu’il ne faut pas miser sur cet aspect d’une oeuvre pour vendre, simplement par prétexte de valoriser une scénariste femme plutôt qu’un homme. Le public doit sentir que tous les films présentés s’équivalent, peu importe le genre de la personne en tête de la réalisation.
Justement, le long métrage a été sélectionné au prestigieux Tribeca Film Festival dont la 17e édition aura lieu du 18 au 29 avril prochain à New York. Le festival atteint un record cette année en proposant 46% de ses films dirigés par des femmes.
Cela dit, outre le fait que la réalisatrice soit une femme, les choix artistiques de celle-ci rendent justice au texte fignolé par Catherine Léger et c’est ce qui donne la chance au film de se démarquer. L’utilisation audacieuse et non conventionnelle du noir et blanc dans Charlotte a du fun vient du besoin de Sophie Lorain de fixer l’attention du spectateur sur le texte et les personnages. La réalisatrice dit vouloir éviter une « orgie de couleurs, de textures » afin que l’oeil du spectateur ne soit pas distrait par le contenu du magasin en oubliant le contenu des échanges.
Charlotte a du fun reste somme toute un film d’adolescents où les vers de George Bizet chantés par Marie Callas prennent tout leur sens. Il faut croire que l’amour est un oiseau rebelle que nul ne peut apprivoiser et c’est bien en vain qu’on l’appelle. S’il lui convient de refuser l’amour est enfant de bohème, il n’a jamais jamais connu de loi.