Chronique
Par: Gabrielle Lemire, cheffe du pupitre actualités
L’utérus de la femme ne lui appartient pas. Voilà, c’est dit. C’est pour ça que la société a un si gros problème avec les femmes qui n’ont pas d’enfants.
« C’est pour bientôt, la grossesse ? », « À ton âge, l’horloge biologique doit commencer à tourner », « Ah, tu vas voir, tu vas changer d’idée ». Ce sont toutes des phrases familières pour les femmes sans enfants, les « nullipares », comme certains aiment les catégoriser. Un terme qui rappelle à la fois le mot « nul » et « nulle part », comme si la femme n’existait plus en dehors de la vie familiale et que le fait de ne pas avoir d’enfants annulait sa féminité.
Marcher sur des œufs
Qu’elles le soient par circonstances de la vie ou qu’elles le deviennent par choix, les femmes sans enfants sont victimes d’un malaise lorsqu’elles tentent de s’intégrer dans des groupes. L’infertilité est une condition qui isole ces femmes qui désireraient simplement être entendues et écoutées. Pour celles qui décident de ne pas avoir d’enfants, c’est le respect de leur décision qu’elles souhaitent.
La cause de cette impasse sociale se situe au niveau du manque d’information et de représentation des femmes sans enfants dans la sphère publique, médiatique. « Il y a une invisibilité sociale des gens sans enfants dans les médias », affirmait simplement Catherine-Emmanuelle Delisle lors d’une conférence sur le sujet vendredi. La conférencière est l’auteure d’un blogue sur les femmes dans cette condition. Faire le deuil de la possibilité d’avoir des enfants a été pour elle un processus douloureux mais catalyseur pour revendiquer la représentation des femmes sans enfants dans les médias.
On peut donc identifier ce manque qui semble être comblé graduellement. Sachons qu’il est rare de trouver des modèles féminins qui ne finissent pas par devenir mères ou qui n’en rêvent pas dans la trame narrative d’un film ou d’un roman. Et lorsqu’elles sont représentées, c’est toujours de façon réductrice dans la manière de cadrer. Il faut donc combler ce besoin de représentation, et que cela passe par un modèle qui n’a pas d’enfants par choix ou par circonstances, et non parce qu’elle n’a pas encore trouvé « l’homme de sa vie ». Au sein de la représentation même, il reste toujours une connotation négative et réductrice.
« J’aimerais qu’on arrive à dire “ je n’ai pas d’enfant et… ” plutôt que “ je n’ai pas d’enfant, mais… ” » – Catherine-Emmanuelle Delisle
Causes plus profondes
Au-delà de la représentation erronée de la femme sans enfant, c’est le manque d’équité entre les genres qui semble être au cœur de la problématique. Jane Sautière s’exprime ainsi dans son oeuvre Nullipare, parue en 2008 : « Nullipare : je me demande s’il existe un mot semblable qui désignerait un homme qui n’aurait pas d’enfant. Je comprendrais qu’il n’y ait rien ». Justement, contrairement à l’homme qu’on questionne rarement sur sa volonté de procréer, la sexualité de la femme ne lui appartient pas. Sur son utérus est apposée une étiquette pour le patriarcat. La logique patriarcale veut que le système possède la sexualité de la femme comme si elle n’était qu’objet. C’est ce qui la dépossède de ce qui lui appartient physiquement, soit sa capacité ou non à se reproduire. Et sa volonté ou non d’avoir des enfants.
Le patriarcat s’est approprié l’idée chrétienne de la femme qui existe sur la Terre pour porter des enfants. C’est pourquoi la femme ressent souvent le besoin de justifier son statut de non-mère en se tournant vers un métier ou une occupation au caractère maternel, comme enseignante ou éducatrice. Au sujet de cette honte et de cet aura péjoratif entourant le statut de femme sans enfant, Delisle affirmait vendredi : « J’aimerais qu’on arrive à dire “ je n’ai pas d’enfant et… ” plutôt que “ je n’ai pas d’enfant, mais ”». Ce n’est qu’avec un changement systémique d’idéologie qui abolirait le patriarcat comme société qu’on réussira à éliminer les tabous entourant la femme sans enfant.