
Les grands peintres : Camille sur son lit de mort : le deuil d’un grand peintre
Par Myriam Bourdeau-Potvin
Tous ceux qui connaissent l’art de Claude Monet sont habitués de voir ses nénuphars printaniers, ses coquelicots des champs ou ses soleils levants. L’œuvre que Mary-Dailey Desmarais a présentée, jeudi dernier au Musée des beaux-arts du Canada, révélait au contraire une partie plutôt obscure de la vie du peintre, soit le deuil qu’il vécut après la mort de sa première femme, Camille.
En parallèle avec l’exposition Monet : un pont vers la modernité, Mary-Dailey Desmarais, conservatrice, conférencière et doctorante de Yale en Histoire de l’art, propose de jeter un autre genre de pont vers les œuvres du grand peintre. En faisant de Camille sur son lit de mort la pièce maîtresse de son exposition, Desmarais cherche à mettre de l’avant d’autres aspects du parcours créatif de Monet, soit « le besoin compulsif de capturer la réalité extérieure et celui de créer une réalité méritant d’être représentée sur toile ».
Une question de perspective
Monet peint la mort de Camille à une époque où les perceptions humaines sont de plus en plus remises en question : la découverte des rayons UV, de l’équation calculant la vitesse de la lumière et surtout le développement de la photographie ont contribué à ce changement de perspective. À cette époque, la mort était beaucoup plus accessible au regard populaire, que ce soit par l’entremise d’un portrait du proche décédé sur leur lit de mort ou encore de vitrines exposant carrément les cadavres aux passants. « Les morgues étaient ouvertes au public et servaient d’attraction populaire », explique Desmarais. L’œuvre de Monet contraste cependant avec cette tradition : « les portraits de mort du 19e siècle se concentraient normalement sur les détails physiques et les caractéristiques faciales du défunt, alors que la toile de Monet illustre une vision fantomatique de Camille. »
L’enveloppe
« L’unité visible en ensemble à la surface de la toile est ce que Monet appelait l’enveloppe, où la même lumière est répartie uniformément », explique l’historienne. La notion d’« enveloppe » prend tout son sens dans cette toile troublante et spectrale : les nuances de blanc, de gris, de rose et de bleu permettent en quelque sorte de voir l’air ambiant, caractéristique du mouvement impressionniste. « En appliquant chaque couche de peinture par-dessus le visage de Camille, ces détails s’obscurcissent. Il en résulte un aveuglement où l’attention n’est non pas dirigée sur le sujet, mais plutôt sur l’air qui l’entoure, normalement invisible à l’œil nu. »
Une œuvre sous-estimée
La conférencière explique sa passion pour cette toile, qui est pourtant jugée comme une incohérence avec le Monet canonique : « Camille sur son lit de mort est l’œuvre la plus triste que Monet ait créé. C’est une œuvre qui raconte la perte, la mort. C’est l’œuvre qui parle du départ d’un être cher, une femme et une mère. Toutefois, Camille sur son lit de mort est également une œuvre qui raconte le processus de la mort, ou selon les mots de Monet “les couleurs de la mort” ». Le peintre affirmait aussi que : « la couleur est mon obsession quotidienne, ma joie et mon tourment »; et il est indéniable que l’exposition de Desmarais présente cette réalité avec justesse.