– Par Paola Boué –
Du 30 octobre au 3 novembre était présentée la pièce Visage de Feu, de l’auteur allemand Marius von Mayenburg, dans une mise en scène de Joël Beddows, professeur au Département de théâtre de l’Université d’Ottawa, au studio du Centre national des Arts. La Rotonde vous en dit plus sur cette tragédie puissante. L’histoire s’ouvre sur une famille effrayante de banalités, composée d’un père ingénieur, lâchant difficilement son journal des yeux, d’une mère aux inquiétudes compulsives et de deux adolescents, Kurt et Olga, qui découvrent leur corps et apprennent la sexualité ensemble, développant ainsi une relation incestueuse. L’arrivée de Paul, le premier petit ami de la jeune fille, déclenche chez son frère une jalousie brûlante, dévorante. Kurt se réfugie alors dans le feu et développe des tendances pyromanes comme moyen d’extérioriser son mal-être.
L’arrivée d’une personne extérieure au cercle familial donne lieu à de violentes confrontations entre les personnages, creusant toujours un peu plus le gouffre entre les générations – parents et enfants – et les enfants et le reste du monde. La pièce se clôture sur une succession poignante et effrayante d’un meurtre, d’une fuite et d’un suicide. Vous l’aurez compris, il y règne une extrême violence, d’autant plus perturbante qu’elle découle d’une situation familiale des plus banales, ce que confirme l’actrice Joannie Thomas lorsqu’elle affirme que « la normalité a un danger ». S’ensuit alors un sentiment d’impuissance général, la question de la responsabilité, une recherche d’ailleurs, de meilleur et la peur d’un avenir incertain. Pour Joël Beddows, le metteur en scène, la pièce « décrit formidablement bien des phénomènes typiques de notre époque. […] De nos jours, on décourage la pensée et la réflexion ; c’est très facile pour les dogmes et les pensées radicales de s’installer chez des gens qui sont en quête de réponses. Ainsi, les adolescents qui veulent des réponses, quand ils ne sont pas encadrés, peuvent en trouver dans des dogmes. Et du manque d’encadrement résulte alors cette violence. […] On a donc une critique de la société faite à travers cette famille profondément normale, comme microcosme de la société dans son ensemble ».
L’opinion de Mlle Thomas s’accorde avec celle du metteur en scène. « C’est une critique aussi de la façon d’éduquer ses enfants. Parce qu’il y a plusieurs choses qui se passent entre Kurt et Olga qui ne sont vraiment pas censées se passer dans une famille. Il y a quand même une relation incestueuse. Et les parents, c’est comme s’ils ne voulaient pas agir. Ils ne veulent pas voir ce qui se passe. L’inaction des parents va aggraver la situation ». La violence des actions est par ailleurs soutenue par le poids des mots, simples mais percutants, dont la traduction en français par Joël Beddows et Frank Heibert a donné lieu à une « simplification du langage ». Le texte original allemand est en effet « très beau, très poétique », pour reprendre les propos du metteur en scène. Notons que Marius von Mayenburg a reçu en 1998 le Prix de la Fondation des auteurs de Francfort pour Visage de feu.
Enfin, la beauté du texte est incontestablement mise en valeur par des comédiens talentueux, émouvants et justes dans leur interprétation.
Avec la collaboration de Léa Papineau Robichaud