
Bourses : un mirage de générosité à l’Université d’Ottawa
Crédit visuel : Hidaya Tchassanti — Directrice artistique
Éditorial collaboratif rédigé par Camille Cottais – Rédactrice en chef
La date limite pour postuler aux bourses internes du semestre d’automne approche à grands pas, et l’Université d’Ottawa (U d’O) semble avoir créé un parcours du combattant pour ses étudiant.e.s. Manque flagrant d’informations sur les bourses disponibles, portail Synto tout sauf pratique, diminution alarmante du nombre et du montant des bourses, critères d’éligibilité ridiculement spécifiques, et obstacles décourageants pour les étudiant.e.s internationaux.ales – voici la réalité à laquelle sont confronté.e.s ceux et celles qui osent encore rêver de recevoir une aide financière.
De plus en plus de frais, de moins en moins de bourses
L’U d’O se targue d’avoir un système de bourses « parmi les plus généreux au pays ». Permettez-nous de rire : dans les dernières années, à mesure que le coût de la vie et les frais de scolarité se sont envolés, l’Université a tout fait pour limiter son offre de bourses.
Prenons un exemple criant : l’abolition de la bourse au mérite, une décision prise en mai 2022 et s’appliquant aux nouveaux.elles étudiant.e.s depuis janvier 2023. Cette bourse de 1000 dollars récompensant l’excellence académique était attribuée automatiquement à chaque semestre où un.e étudiant.e de premier cycle obtenait une moyenne pondérée de 8,50 ou plus. L’Université avait justifié ce retrait par l’introduction de l’option de note satisfaisant/non satisfaisant pendant la pandémie, arguant qu’elle avait provoqué une inflation des notes et, par conséquent, une avalanche de bourses au mérite. Pourtant, cette option n’a été pleinement offerte qu’au semestre d’hiver 2020, et partiellement à l’automne 2020 et l’hiver 2021.
Pourquoi alors ne pas avoir rétabli cette bourse depuis ? Question rhétorique, évidemment : le budget de 2023-2024 révèle que cette suppression a permis à l’Université de gagner 6 à 13 millions de dollars. Une coquette somme empochée sans scrupules, au détriment des étudiant.e.s.
Déficit imaginaire et salaires dorés
Vous allez nous rétorquer que c’est la crise – c’est vrai -, que l’Université ne reçoit pas assez de subventions gouvernementales – c’est vrai -, et donc qu’elle serait en déficit : c’est faux. Cela fait belle lurette que chaque année, uOttawa prône l’austérité tout en affichant des surplus budgétaires plus qu’enviables : 91,8 millions de dollars en 2018-2019, 36 millions en 2019-2020, 41,7 millions en 2020-2021. Et l’an dernier ? Pour 2023-2024, l’Université a ingénieusement inventé un déficit de 10,6 millions en transférant 38,8 millions de dollars du fonds de fonctionnement vers d’autres fonds, masquant ainsi un surplus bien réel s’élevant à 28,2 millions.
Comme l’expliquait l’Association des professeur.e.s de l’Université d’Ottawa en 2023, « L’administration centrale prétend qu’il y a un “déficit” du fonds de fonctionnement afin d’entretenir un faux sentiment d’instabilité financière et justifier des coupes dans toutes les facultés. […], le prétendu déficit est le résultat de la déclaration à l’effet que le fonds de fonctionnement est déficitaire après la réalisation des transferts interfonds ». Pas besoin d’être doctorant.e en économie pour comprendre que l’Université se fiche de nous – étudiant.e.s comme professeur.e.s.
Et n’oublions pas, ce n’est visiblement pas la crise pour tout le monde. Les coupes dans les bourses sont en effet d’autant plus insultantes quand on jette un coup d’oeil aux salaires annuels exorbitants versées à la haute administration universitaire : 399 616 dollars pour le recteur, 457 349 pour le doyen de la Faculté de médecine (un salaire princier qui ne cesse de croître), 373 317 pour le doyen de l’École de gestion Telfer, 300 000 pour le vice-recteur à la recherche et à l’innovation, ou encore 301 616 pour la Provost et Vice-rectrice aux affaires académiques. Cette dernière a d’ailleurs bénéficié d’une augmentation de 140% en 2020. Oui, vous avez bien lu, 140%. Bref, pendant que les étudiant.e.s peinent à joindre les deux bouts, une poignée de privilégié.e.s se gave allègrement.
Étudiant.e.s de seconde zone
Le choix des bourses est d’autant plus réduit si vous n’avez pas le privilège d’être né.e avec la précieuse citoyenneté canadienne. Vous ruinez votre vie sociale et votre santé mentale pour maintenir une excellente moyenne ? Ruinez également votre compte en banque, car il est très probable que ces efforts ne vous permettront pas de toucher un seul sou.
Non seulement l’offre est bien moindre pour les étudiant.e.s de l’étranger, mais en 2021, l’Université a pris la décision outrageante d’abolir l’exonération partielle des frais de scolarité, qui permettait depuis 2014 aux étudiant.e.s internationaux.ales inscrit.e.s à temps plein dans un programme en français de payer les mêmes frais de scolarité que les citoyen.ne.s. Depuis la rentrée de septembre 2021, l’exonération a été remplacée par une bourse d’exonération d’une valeur bien inférieure. La hausse diffère selon les facultés : elle est par exemple de 50 % pour un.e étudiant.e à la Faculté des arts, mais de 162 % pour un.e étudiant.e en soins infirmiers.
Selon le budget de 2023-2024, ce changement permettra à l’Université de se remplir les poches de plus de 40 millions de dollars en 2024-2025 et plus de 60 millions en 2025-2026. Vive l’exploitation des étudiant.e.s internationaux.ales !
Pour les étudiant.e.s internationaux.ales en maîtrise ou en doctorat, c’est la double peine assurée. En plus de ne pas être éligible à une bourse d’admission, vous vous retrouvez face à un champ de possibilités si désolant sur Synto qu’on pourrait croire à une mauvaise blague. Apparemment, être né.e ailleurs est un crime impardonnable, tout comme ne pas correspondre à des critères aussi pointus qu’absurdes. Mentionnons par exemple une bourse qui demande d’étudier en neurosciences au sein d’un laboratoire partenaire d’une université israélienne, ou une autre qui exige de faire des études dans une université lettone. Incroyable, n’est-ce pas, cette diversité de candidat.e.s potentiel.le.s ? Et puisque des employé.e.s internes avouent que plusieurs de ces bourses ne sont pas attribuées (quel mystère !), nous sommes en droit de nous demander où l’argent de ces bourses fantôme finit par atterrir.
Communication défaillante et transparence évanescente
L’Université ne brille pas non plus par sa communication sur le sujet, loin de là. Les étudiant.e.s de premier cycle doivent se débrouiller par eux.elles-mêmes face au manque de courriels sur l’ouverture des bourses, les dates limites, les procédures de candidature ou la façon de naviguer dans le dédale de Synto. Et lorsque quelqu’un a la chance inouïe de décrocher le Saint Graal, le silence radio est assourdissant – de nombreux membres de notre équipe ne reçoivent même pas de courriel pour les informer de la bonne nouvelle.
Une fois arrivé.e sur la plateforme Synto, le chemin reste encore semé d’embûches, puisque la plateforme ne permet pas de filtrer les bourses pour lesquelles vous êtes éligible. Un profil étudiant, un CV et un questionnaire financier doivent être complétés, en vain, puisque les bourses affichées ne s’adaptent pas selon les caractéristiques précisées. Peu importe ce que vous avez indiqué dans votre profil étudiant, vous verrez dans la liste des bourses réservées aux personnes autochtones, aux doctorant.e.s en service social, aux étudiant.e.s-athlètes, aux Iranien.ne.s, etc. Il vous faudra alors passer plusieurs heures à naviguer dans les eaux troubles de Synto et lire les descriptions de toutes les bourses une par une. On dirait que la plateforme a été conçue pour repousser les étudiant.e.s plutôt que de les aider.
Parlons rapidement pour finir du fameux questionnaire financier, sujet qui mériterait à lui seul un éditorial entier. Ce passage obligé pour postuler à la plupart des bourses internes manque cruellement de transparence. En 2022, un employé de l’Université révélait anonymement à La Rotonde que les marges de crédit (prêts étudiants), donc les dettes, seraient considéré.e.s comme des revenus dans le questionnaire kafkaïen. Il en serait de même pour les revenus du.de la conjoint.e. Un sujet sur lequel l’Université n’a jamais répondu à La Rotonde, que ce soit pour démentir ou confirmer cette absurdité.
En somme, on ne peut qu’observer une dissonance cognitive frappante chez la haute administration d’uOttawa. D’un côté, elle se targue d’avoir instauré un système de bourses prétendument généreux, et de l’autre, elle obstrue le chemin pour y accéder par n’importe quel obstacle possible et imaginable. Un tour de force qui transforme l’accès à l’aide financière en un marathon, laissant les étudiant.e.s se demander si cette générosité ne serait qu’une façade soigneusement entretenue.