– Par Chloé Sigouin –
En sillonnant les routes isolées de la campagne, elle leva son regard pensif vers le ciel parsemé d’étoiles. Tous ces soleils de galaxies lointaines scintillent sous ses yeux mais elle ne peut s’empêcher de penser que certains d’entre eux soient en réalité éteints.
Ce concept insaisissable la hante. L’absence de logique évidente la paralyse.
Mille et une questions résonnent dans sa tête, alors qu’elle tente de conceptualiser la situation. Elle essaie de comprendre, mais en vain. Son seul espoir : qu’un jour son esprit confus fasse lumière sur la question et éclaire ses pensées. Espérer qu’un jour, l’incohérence entre la présence et l’absence simultanée des étoiles dans ce ciel si sombre lui soit expliquée.
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Je fixai d’un regard absent l’écran de mon ordinateur portable. La mince barre verticale au bout de la phrase apparaissait, puis disparaissait. Apparaissait, puis disparaissait. Je me consolai en me répétant que j’avais eu une dure journée, éteignit l’ordinateur portable et le posa sur la table du salon pour aller retrouver la chaleur de mon lit douillet. Il se faisait tard et le jour suivant serait sans doute une grosse journée.
À sept heures pile, le bruit soudain de mon réveille-matin perça mes tympans. Comme chaque matin depuis un certain temps, le réveil fut une épreuve difficile. Ouvrir mes paupières. Renoncer à l’étreinte des mes couvertures. J’y arrive. Poser le pied sur le froid plancher de bois franc de ma chambre à coucher. Me propulser à l’autre bout de celle-ci pour enfiler rapidement ma robe de chambre.
Dans moins d’un mois, j’aurai quitté le foyer familial et je ferai mon nid dans la Ville Lumière, dans la ville de l’amour : la métropole de Paris comptera une demoiselle de plus. Bien évidemment, étant l’ainée et la première à quitter le nid familial, déménagement est synonyme de brouhaha dans la maisonnée.
Ayant la mauvaise habitude de m’attarder aux détails plutôt insignifiants, tels que la couleur du rouge à lèvre qui s’agencera le mieux à l’habit que je revêtirai le jour du grand départ, je dus m’efforcer d’avoir recours au peu de concentration que je possédais pour entamer la plus pénible des étapes : faire le tri de mes effets personnels. Comme il m’arrivait souvent de faire ces derniers temps, j’abandonnai la tâche ennuyeuse et me résignai à vaquer à d’innocentes activités quotidiennes.
Ce changement soudain d’activité devenait de plus en plus fréquent chez moi. Depuis que la chose s’était produite, j’avais souvent essayé de la traduire en mots, mais chaque défi était suivi d’un autre encore plus grand. Le cycle était sans fin. Aucun mot n’était le juste mot ; aucune phrase n’était représentative de ce que je ressentais. La peur de la réalité – celle d’être honnête avec moi-même – me hantait. Je n’arrivais pas à écrire une histoire. Pire encore : je n’arrivais pas à écrire mon histoire.
Je voulais quitter, voir du nouveau.
Après avoir procrastiné pour quelques heures qui m’ont semblé bien trop courtes, et après ce que je qualifierais d’encouragements de la part de ma mère, je me remis à la tâche. J’avais fait une liste quelques jours auparavant : vêtements, chaussures, maquillage, linge de sport, maillot de bain, livres. Livres entre lesquels j’avais glissé un bracelet de plastique que donnait aux vacanciers la station balnéaire où je l’avais rencontré. Et ce n’était pas n’importe quel bracelet : c’était son bracelet, celui qu’il m’avait donné avant le jour de son départ de la station balnéaire. Aussitôt, mes pensées commencèrent à divaguer. À votre grande surprise, mesdames et messieurs, je me remis à la tâche : je poursuivis l’art de la procrastination.
Éventuellement, je réussis à continuer ce que j’avais entamé. Mes valises se remplissaient petit à petit et j’y avais inclus tous les nouveaux habits dont ma mère m’avait fait cadeau. Après tout, j’allais rester dans un chic studio, lequel, j’aimais m’imaginer, avait une vue sur la Seine.
Dans quelques semaines, je mettrai le pied dans mon nouveau bureau. Je travaillerai sur la fameuse avenue des Champs-Élysées, au bureau central de l’Union des Nations unies.
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La pluie qui avait tombé toute la nuit m’avait bercée et j’étais plongée dans un sommeil profond. Je sortis de mon lit, enfilai mes vêtements et descendis au rez-de-chaussée de mon bloc appartement. En mettant le pied dehors, j’inspirai une bonne bouffée d’air frais qui me fit grand bien. C’était le calme après la tempête de la veille.
La dame âgée qui vendait ses croissants à quelques blocs d’où je demeurais était bien fine et très charmante. Chaque samedi matin, j’allais la saluer. Elle s’appelait Madame Bajonis. On échangeait quelques propos au sujet de notre semaine au travail et de l’état de santé de son époux malade. Elle me demandait toujours comment allait ma famille québécoise et je lui répétais chaque fois que j’étais Franco-Ontarienne, que le Québec fait partie du Canada, et que, non, les Canadiens ne demeurent pas dans des igloos. Je lui achetai des croissants frais : les meilleurs de Paris, disait-elle.
Madame Bajonis faisait partie de ceux qui m’encourageaient à poursuivre mes rêves. J’étais consciente que je laissais de côté mes études, mais la seule réponse que savaient formuler mes pensées était citation toute-crachée d’un bon ami. Elle était citation du propriétaire du bracelet de la station balnéaire, bracelet que j’avais minutieusement glissé entre deux bouquins pour je-ne-sais-quelle raison.
Ce fameux personnage m’avait dit que, dans la vie, chacun doit faire un choix entre une vie prudente ou une vie hasardeuse. À cela a-t-il rajouté que, peu importe la décision que l’un prend, tous se retrouveront généralement au même endroit, mais qu’une vie hasardeuse apporterait sans doute de meilleures histoires.
En ce matin de novembre, Madame Bajonis me fit comprendre quelque chose d’important. Elle s’intéressait à mes histoires et me questionnait gentiment au sujet de celui-dont-je-gardais-le-bracelet-de-la-station-balnéaire-entre-deux-bouquins (je ne sais encore pour quelle raison).
Elle me dit soigneusement que même s’il n’est point resté dans ma vie, il l’a sans doute influencée d’une quelconque manière. C’est à ce moment précis que je constatai que le fameux bracelet de la station balnéaire, celui que je gardais entre deux livres dans ma chambre au Canada, est resté entre ces deux mêmes livres dans ma chambre au Canada. Le bracelet était là-bas, alors que moi, j’étais à Paris.
Ce soir-là, après avoir rencontré une amie à un café de l’Avenue de l’Opéra, je choisis de faire le chemin du retour à pieds plutôt que de prendre le métro. Je marchai donc quelques kilomètres en compagnie de mes pensées papillonnantes. À quelques pas de la porte de mon bloc appartement, je levai la tête vers le ciel pour apercevoir des milliers d’étoiles – chose rare à Paris. Pourtant, les étoiles de cette soirée-là parvenaient à briller malgré toutes les lumières de Paris.
***
Je me réveillai en sursaut, légèrement désorientée, sous l’étreinte de ma douillette. J’étais chez moi. Au pied de mon lit : ma valise, qui contenait les objets que j’avais regroupés en vue de mon départ. Entre deux livres : le bracelet (que je n’avais plus besoin, d’ailleurs). J’en étais convaincue. J’aperçu mon ordinateur portable, sur l’écran duquel une mince barre verticale au bout d’une phrase apparaissait, puis disparaissait. Apparaissait, puis disparaissait. Je devais continuer. C’était une histoire – mon histoire – et je devais la raconter.
***
Elle resta bouche bée pour un long moment. Elle était hantée : hantée par l’absence de logique.
Elle était convaincue que jamais la lumière ne viendrait ; que jamais elle ne l’éclairerait ni la guiderait vers une réponse, encore moins vers la réponse qu’elle cherchait. Peu à peu, les réponses se présentèrent à elle. C’est à ce moment précis qu’elle fut éclairée par une lumière dont elle ne su repérer la source. Elle eut une réponse, celle qu’elle cherchait, celle qu’elle avait tant espérée.
La vie est un ruisseau. L’eau coule et se laisse porter par le courant. Les débris et les feuilles mortes de l’automne sont sous l’emprise du courant. Le pouvoir est détenu par le courant.
Le courant, il mène vers l’incontournable et force à affronter l’inconnu. Elle essayait de se débattre, de nager à contrecourant. Elle était sans cesse à la recherche d’un remous, sans savoir que ce tourbillon était un barrage naturel qui ne freinait que temporairement la fluidité du courant. Sans savoir qu’il la rejetterait sans avertissement ni pitié dans le plus vif du ruisseau.
Le courant : il est imbattable. La clé : m’y abandonner.