Inscrire un terme

Retour
Arts et culture

Beau temps, mauvais temps

Par Myriam Bourdeau-Potvin et Marie-Pier Pernice

La vie culturelle ottavienne pleure ses défunts de la dernière année. Une pluie torrentielle destructrice semble avoir emporté avec elle trop d’endroits chaleureux, riches en découvertes musicales et artistiques de tous genres depuis l’été 2015. Malgré tous ces merveilleux endroits qui ont connu leurs moments de gloire avant de connaitre leur chute fatale, plusieurs autres ont su prendre la relève. La Rotonde a décidé d’explorer les lieux et de commémorer les disparus.

Mugshots, fermé pour cause de popularité

C’est lors d’un chaud mercredi soir de juillet 2015 qu’a eu lieu la mémorable dernière scène ouverte au bar Mugshots situé au 70, rue Nicholas, au cœur de l’édifice patrimonial ayant hébergé la première prison ottavienne de 1862 à 1972. À noter que la compagnie d’auberges jeunesse Hostelling International avait aussi investi les lieux et offrait la chance aux chasseurs de fantômes de dormir dans une cellule transformée en chambre.

La combinaison hébergement et soirées musicales arrosées, quoi qu’optimale en théorie, n’a pas su charmer tout le monde : plusieurs clients de l’auberge se plaignaient quant au bruit provenant du bar. Mugshots proposait deux versions de scène tout aussi populaires, avec son bar intérieur et ses voûtes, par temps froids, et avec sa cour extérieur où la foule dansait jusqu’au petit matin au son de DJs et d’artistes émergents de la scène locale. Les employés du bar contribuaient à l’ambiance magique et festive de l’endroit en créant constamment de nouveaux évènements qui ne nécessitaient que du bouche-à-oreille pour remplir l’espace. On pouvait même déguster une bière locale, bien assi sur les escaliers ayant mené l’assassin de Thomas D’Arcy McGee’s à la dernière exécution publique au Canada en 1869.  

C’est sans préavis que les employés de Mugshots ont été renvoyés et que ce lieu primordial de rencontres pour la communauté artistique de la capitale a été dérobé à son public avide de découvertes.

Le Café T.A.N.

Résidents du quartier de la Côte-de-Sable et étudiants de l’U d’O ont afflué côte-à-côte durant près de 5 ans au café T.A.N. (The Alternative Network) au coin des rues Wilbrod et Friel, afin d’assister à des vernissages, des spectacles, des lancements de livres, des cours de yoga et bien sûr, afin de se réchauffer avec un bon café. Erin Cochrane, co-propriétaire et gérante, soutenait T.A.N. en y mettant toute son énergie. Au tout début, le café n’occupait que la moitié du local, le partageant avec la Sandy Hill Pet and People Food Coop. C’est après son agrandissement, suite au déménagement de la coop, juste en face, que le café a commencé à accueillir de nombreux évènements culturels.

T.A.N. est en fait un réseau de cafés et de micro-torréfacteurs indépendants basé en Nouvelle-Écosse qui s’engage à transmettre à leur clientèle un éventail de produits équitables et sains, projet basé sur le principe de la coopération. Lors de la fermeture, Erin Cochrane a annoncé le 17 décembre 2015 via Facebook : « Nous faisons de notre mieux afin de ré-ouvrir près d’ici et aussi vite que possible, et j’espère être capable de l’annoncer durant les prochains jours. » Ce message est resté sans écho jusqu’à maintenant.

Le Daily Grind en cendres (Chinatown pt.1)

Ce vibrant café-bistro du 601 Somerset W., qui se trouvait au cœur du quartier chinois d’Ottawa, a été détruit par un incendie le 21 octobre 2015. Les flammes ont aussi emporté la boulangerie Middle East, l’épicerie Shiraz et l’appartement du dessus. Plusieurs collectes de fonds ont eu lieu depuis afin d’aider les résidents et les entreprises à se remettre sur pieds. Les propriétaires du Daily Grind n’ont certainement pas dit leurs derniers mots, car après de chaleureux remerciements en réponse au support de la communauté ottavienne, ils ont annoncé « qu’ils ne considéraient pas ce feu comme une fin ». À suivre…

Raw Sugar (Chinatown pt. 2)

Le 21 décembre 2015, Nadia Kharyati, propriétaire du café Raw Sugar, a annoncé la fermeture de ce chaleureux endroit au décor kitsch éclectique dû à des « circonstances hors de son contrôle » après plus de sept ans à travailler d’arrache-pied afin de créer un lieu de rencontre inclusif et propice au partage culturel. Ce quartier a donc perdu deux piliers du milieu artistique en moins de deux mois.

La renaissance de la Galerie La Petite Mort

La galerie déjantée d’art La Petite Mort, du 306 rue Cumberland, a fermé ses portes définitivement en août 2015, afin de passer à un autre chapitre de son histoire.  Guy Bérubé, propriétaire, conservateur et responsable de l’imaginaire de La Petite Mort, l’ayant même de tatoué sur le cou, a décidé de lancer LPM Projects, une nouvelle aventure artistique hybride ayant pour but de promouvoir l’art contemporain en explorant diverses causes sociales, en organisant, entre autres, des expositions internationales. La galerie demeure toutefois fermée au grand public et n’ouvrira ses portes qu’en cas d’évènements spéciaux ou sur réservation.

Le café de la guilde

Situé au coin des rues Laurier et Church, l’église anglicane All Saints a été rachetée en décembre 2015. Celle-ci tombe dans la ligne de mire du projet de l’allée des premiers ministres, projet de la ville d’Ottawa. Situé entre la rue Laurier Est, l’avenue King Edward et le parc Strathcona, le projet a pour but de valoriser les lieux historiques où ont vécu plusieurs premiers ministres et pères de la Confédération.

Une première section maintenant ouverte de l’ancien lieu de culte offre un espace café dans la salle de la guilde. Celle-ci avoisine une grande pièce qui héberge à temps partiel quelques cours de tango et des classes de yoga. Étant situé près du campus, ce lieu reprend symboliquement le flambeau du café T.A.N. mais ne représente encore qu’une « portion d’un projet plus grand : on est en train de faire des changements dans l’église, mais en même temps on veut que les étudiants viennent et découvrent l’endroit », explique Leanne Moussa, propriétaire. « Dans le sous-sol », ajoute-t-elle, « il y aura un restaurant ». Selon elle, l’endroit offre un lieu de rencontre pour les étudiants et la communauté où tous peuvent discuter autour d’un bon breuvage. 

LIVE! On Elgin

L’un des endroits qui a su prendre la relève du domaine artistique local est le LIVE! on Elgin. Comme son nom l’indique, l’endroit a plutôt une vocation de salle de spectacle que de bar, ce que Lawrence Evenchick, co-propriétaire, confirme : « C’est une salle de spectacle : les gens qui se rendent ici viennent voir un évènement particulier. »

Sept jours sur sept, la programmation met en valeur les artistes émergents de la région, ce qui est l’une des vocations de l’endroit : « Tout ici est local. Nous essayons de promouvoir les talents de la région, que ce soit en musique ou en théâtre », affirme Evenchick. Le plus beau dans tout ça, c’est que malgré son emplacement avec pignon sur Elgin en plein centre-ville d’Ottawa, le coût du billet est toujours raisonnable. « J’avais des amis qui revenaient de la Nouvelle-Orléans et ils parlaient d’une pièce professionnelle qu’ils avaient été voir qui ne leur avait coûté que dix dollars. Je me suis demandé comment cet endroit faisait pour survivre, et j’ai appris que la salle se trouvait derrière un bar. » En suivant cet exemple, Lawrence Evenchick et son fils Jon-Rhys Evenchick ont ouvert LIVE! On Elgin en juin 2015 au deuxième étage d’un diner achalandé du centre-ville.

L’intérêt était de créer un lieu de rassemblement pour les plus petites compagnies de théâtre, ce qui comble un manque selon le patriarche. « Il y a environ deux ans, la communauté théâtrale d’Ottawa discutait du manque d’espace de théâtre pour les petites compagnies », explique-t-il, en précisant par contre LIVE accepte de tout, « de la comédie, des groupes locaux de musique, des troupes de théâtre et des concours de toutes sortes ». Somme toute, c’est un lieu qui représente bien la culture ottavienne, que ce soit par le choix d’artistes, des thématiques ou des produits de consommation du bar.

House of TARG : célèbre pour ses pierogis

Unique en son genre, le House of TARG (HoT) se veut à la fois un restaurant, une salle d’arcade et un bar à spectacle. Passant de brunch et match de pinball familial à concours de métal ou spectacle de punk le soir, force est d’admettre que le HoT regorge de surprises. Ils publient également un Zine en format virtuel qui regroupe quelques recommandations de musique, des chroniques, des bandes dessinées et le « perogramme » des spectacles prévus du mois. Tout le monde y trouve son compte : le cas échéant, il n’y a qu’à goûter leurs célèbres pierogis pour retrouver le sourire.

Le Minotaure, du twerk intellectuel

Une autre ouverture récente est celle du Minotaure, sur l’île de Hull. L’ancien Bar Bistro a été pris en main par l’Ambassade culturelle, un organisme à but non lucratif qui existe depuis maintenant un an et demi. L’initiative de Philippe Roy et Steven Boivin avait à leur actif plus de 200 shows avant leur déménagement sur la rue Aubry. « L’Ambassade [culturelle] est le producteur d’évènement et le Minotaure en est le diffuseur », explique Boivin.

À travers son expérience en tant que directeur artistique (2014) et directeur général (2015) au Festival de l’Outaouais Émergent et après être passé de salle en salle pendant plus d’un an, l’Ambassade Culturelle pose ses valises dans une bâtisse pleine d’histoire et de souvenirs. « J’ai été DJ ici pendant 5 ans, à l’époque où ça marchait, j’ai donc vu le potentiel que l’endroit avait », se remémore Boivin. « Je trouvais ça dommage qu’un endroit fort, un véritable symbole du développement du centre-ville soit contrôlé par des jeunes qui twerks. Ce n’est pas ça mon objectif de société, j’ai plus d’espoir que ça pour la relève! »

Pour Boivin, le succès du Minotaure réside dans une programmation musicale éclectique, mettant en vedette des artistes en tout genre. « Ce sont les gens qui font la personnalité de la place. La semaine dernière, il y avait un line-up de métalleux qui venaient voir un show de métal de la région, ce soir [NDLD : mercredi le 6 avril dernier] c’est super indie avec un band qui faisait la première partie de Half Moon Run, et samedi c’est du rap, avec Loud Lary. »

 

Inscrivez-vous à La Rotonde gratuitement !

S'inscrire