– Par Marc-André Bonneau –
La programmation du Bal de neige a de nouveau provoqué un tollé général en présentant des activités au climat militaire dans une fête familiale, qui célèbre sa 36e édition.
Après avoir suscité de vives critiques pour avoir créé des activités commémoratives de la guerre de 1812, les organisateurs du Bal de neige récidivent dans leur programmation en soulignant le début de la Première Guerre mondiale. Les festivités, qui s’écoulent sur une période de trois semaines, se dérouleront au parc de la Confédération, au parc Jacques-Cartier ainsi que sur la patinoire du Canal Rideau. Une sculpture faite de 100 blocs de glace et qui vise à souligner le début du conflit de 1914, a été dévoilée lors de la première fin de semaine du Bal de neige, au parc de la Confédération. D’autres activités viseront à célébrer le 150e anniversaire de la Conférence de Charlottetown et de la Conférence de Québec.
Une ouverture qui donne le ton
La ministre du Patrimoine Canadien, Shelly Glover, a donné le ton à la programmation du Bal de neige en annonçant que « ceux qui ne veulent pas visiter les sculptures qui commémorent les sacrifices des Canadiens et des Canadiennes ont le choix de ne pas les visiter ». Cette proposition répond aux critiques de la présence d’activités militaristes de cette édition.
La mascotte de l’Armée canadienne, l’ours polaire Juno, était présente à la cérémonie d’ouverture pour « donner des accolades et encourager les enfants qui participent ». La cérémonie était particulièrement différente de celle de l’année dernière, dans laquelle un spectacle donné par des alpinistes était au cœur du lancement des activités.
Le fondateur du Bal de neige, Rhéal Leroux, a critiqué cette présence du politique dans les festivités. « On ne devrait pas politiser une fête populaire et encore moins lui donner des thèmes à cachet militaire », déplore-t-il. Lors de l’édition de 2012, les enfants avaient eu l’occasion de vêtir les habits militaires semblables à ceux utilisés en 1812, en plus de manier des répliques de fusils à l’apparence authentique. La scène d’enfants qui « tiraient » sur la foule avait soulevé l’indignation générale.
Alors que le Bal de neige était organisé par la Commission de la capitale nationale (CCN), ce dernier est maintenant sous l’aile de Patrimoine Canada. Toutefois, les organisateurs affirment que ce changement n’a pas d’influence sur la programmation. « Je ne pense pas que vous allez remarquer des changements au niveau de la programmation. L’équipe qui organisait le Bal de neige [la CCN] a été transférée à Patrimoine Canada », a indiqué Charles Cardinal, porte-parole pour Patrimoine Canada.
Ingérence politique
Jean-Pierre Couture, professeur à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa (l’U d’O), a critiqué cette programmation en soulevant qu’il y a « confusion entre la fête familiale et la promotion de l’Armée et des objectifs militaristes. » Il a rappelé qu’« il y a quelques années, un groupe de citoyens et de professeurs avaient dénoncé la militarisation du Bal de neige. Déjà, on voyait clairement que c’était un véhicule idéologique pour les positions gouvernementales plus militaristes », explique-t-il.
Des questions fondamentales émergent de la commémoration du début d’un conflit dans un événement festif. « La CCN tient à souligner le début de la guerre de 1914. À cela, il y a plusieurs problèmes. Pourquoi fêtons-nous le début d’un conflit? À mon sens, c’est peu commun et même de mauvais goût. Le commencement d’un conflit, c’est souvent la fin de la politique et le début du langage de la force et de la puissance militaire. C’est un échec de la paix, un échec de la politique », dénonce M. Couture.
« Roméo Dallaire et Nycole Turmel, respectivement sénateur et députée fédérale, avaient dénoncé la militarisation du Bal de neige [lors des commémorations de la guerre de 1812]. Ce n’était pas seulement quelques illuminés, professeurs ou militants qui avaient repéré cette dérive-là. Cela avait été très haut dans la députation », précise le professeur de l’U d’O.
« Réécriture de l’histoire »
M. Couture a soulevé d’autres problèmes à la commémoration, tels qu’elle soit faite en ce moment. « En 1914, il n’y avait pas beaucoup de francophones qui voulaient servir dans le conflit qui s’annonçait, parce qu’ils étaient systématiquement discriminés dans l’Armée, si bien que cela a mené à la création de régiments francophones purs et exclusifs par la suite. De fêter 1914 pour le motif de l’unité canadienne, c’est vraiment une réécriture de l’histoire parce que cela n’allait pas bien pour les minorités francophones dans l’Armée à ce moment précis. C’est odieux de simuler une sorte d’unité nationale, a posteriori, alors qu’on était en plein colonialiste frontal à ce moment », ajoute-t-il.
Une nouvelle page web du gouvernement du Canada, intitulée Canada 150, dresse un portrait des événements qui seront commémorés d’ici les célébrations du 150e anniversaire de la Confédération, qui sera célébrée en 2017. Il y est indiqué que les « commémorations amèneront les Canadiens à mieux comprendre les deux guerres mondiales et à rendre hommage à ceux qui ont contribué à l’écriture de ces chapitres déterminants de notre histoire collective ». Le site dresse aussi liste d’une douzaine d’événements militaires qui seront commémorés d’ici 2020.
Selon M. Couture, d’autres événements culturels qui reposent sur le pouvoir fédéral présentent de plus en plus d’éléments militaires. C’est notamment le cas pour Mozaika. « Le gouvernement conservateur est militariste et cela se transpose dans les organes culturels qui dépendent de lui. C’est un malheureux mélange des genres », conclut M. Couture.
Commentaires de Patrimoine Canada
En tentant de mieux comprendre ces commémorations, La Rotonde a questionné Patrimoine Canada au sujet des risques de véhiculer une vision de l’histoire teintée de valeur politique. Il a affirmé que « depuis une dizaine d’années, les thèmes du Bal de neige s’arriment aux commémorations et aux célébrations identifiées par le ministère du Patrimoine canadien pour leurs valeurs historiques et éducatives. »
L’organe fédéral affirme également que la seule activité organisée par les Forces canadiennes est la course à obstacles. C’est « un partenaire de longue date du Bal de neige [et qui vise] à offrir aux visiteurs l’occasion de pratiquer une activité physique tout en s’amusant au Domaine des flocons. », explique Patrimoine Canada.
Les organisateurs ne semblent pas avoir considéré les critiques qui ont été adressées en 2012, puisqu’en les questionnant pour savoir s’ils avaient eu de telles considérations, les porte-paroles de Patrimoine Canada n’ont affirmé que « chaque année, l’offre du Bal de neige est renouvelée en fonction des anniversaires et des commémorations canadiennes ». D’autres événements culturels, teintés par le politique, semblent à venir.