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Éditorial

Au-delà du bleu et du rose

7 Décembre 2015

Le temps des fêtes arrive à grands pas. Mais, avant les grandes célébrations familiales bien arrosées, des semaines de magasinage nous attendent. Alors que nous cherchons les meilleurs cadeaux pour nos petits cousins, nos nièces ou même les enfants de nos proches, il se vaut de se questionner sur la nature changeante des jouets.

Commençons à l’aide d’un constat : les jouets pour enfant sont maintenant plus genré qu’ils ne l’ont été tout au long du XXe siècle. Lors des dernières années, un mouvement de résistance est né pour remettre en cause toutes ces petites étiquettes qui indiquent qui devrait ou ne devrait pas utiliser un jouet. Serait-il grand temps de repenser les jouets au-delà du rose et du bleu?

La liberté est choix

Imaginez deux enfants de 5 ans, un garçon et une fille. Comme bien d’autres, ils partagent plusieurs champs d’intérêt : ils aiment jouer au parc, s’habiller en costumes colorés, cataloguer et collectionner les insectes et jouer à papa et maman.

Plus le temps passe, plus les pressions culturelles affecteront leurs préférences. On dira que la petite fille est sale lorsqu’elle attrape une grosse chenille. On remettra en question la virilité du garçon qui cuisine pour ses toutous. Statistiquement, les enfants abandonneront les activités qui ne sont pas considérées « appropriées » pour leur sexe.

L’argument le plus banal – mais aussi l’un des plus imposants – pour contrer cette fracturation des préférences est un appel à la liberté : les enfants devraient être libre se s’épanouir dans leur champs d’intérêt. S’ils ne font de mal à personne, pourquoi ne pas les laisser s’amuser comme bon leur semble?

Apprendre sa place

Toutefois, la genrification des jouets a aussi des implications sociales beaucoup plus sérieuses. Jouer, c’est aussi construire son identité et former ses aspirations. Malheureusement, les stéréotypes qui séparent les jouets pour filles et garçons sont les mêmes qui maintiennent les inégalités des sexes dans le monde adulte.

Alors que les jouets pour filles sont centrés sur l’apparence, la vie familiale (lire « tâches ménagères ») et la passivité, les jouets pour garçons prennent une approche plus active, prônant le mouvement, la compétition, la construction et l’agression.

Soyons honnêtes : dans quelle allée retrouve-t-on les trousses de petits scientifiques et les kits d’architecture? Dans quelle allée retrouve-t-on les costumes à paillettes, les biberons et les planches à repasser miniatures? Pouvons-nous vraiment être surpris que les femmes soient sous-représentées dans les emplois en science, technologie, ingénierie et mathématique alors que ces jouets portent l’étiquette « pour garçons »?

Si les masculinistes aiment bien rappeler que l’écart salarial est en partie explicable par les domaines d’emplois, les heures passées à la maison et l’agressivité lors des négociations, ils oublient bien sûr de noter que notre société impose des comportements et priorités différents dès un jeune âge.

Développer ses habiletés

Pourtant, ce n’est pas que les filles qui sont victimes des jouets genrés. Différents types de jeu développent différentes aptitudes. Ainsi, en limitant les jeux jugés « appropriés », on limite aussi le développement de l’enfant.

On connait bien les avantages développementaux des jouets pour garçons. Les sports aident la force musculaire, la coordination et l’équilibre. Les jeux de construction enseignent les principes mathématiques et physiques de base ainsi que le design.

Mais pendant ce temps, les filles développent des compétences bien différentes : l’imagination, l’expression artistique, la communication, et bien d’autres encore. Alors que les parents tiennent pour acquis que les garçons doivent être en mouvement constant, les filles apprendre à être patiente, à se concentrer sur des choses minutieuses, et à rester assises pendant de longues durées – des aptitudes bien importantes à l’école. En se costumant pour des jeux de rôles, les enfants font rapidement l’expérience d’une grande variété de situations sociales qui les forcent à résoudre des problèmes en communiquant.

Bref, il faut une variété de jouets pour une variété d’habilités. Tous ont à gagner à ne pas limiter leur jeu en fonction de leur sexe.

S’empoisonner jeune

Les jouets les plus neutres sont les plus éducatifs, c’est bien établi. Mais ce n’est pas tout : plus un jouet est genré, plus il développe des comportements nocifs, autant chez les filles que chez les garçons.

L’accentuation de l’apparence est omniprésente dans les jouets pour fille. Il faut être belle; il ne faut pas se salir. Un rose immaculé démarque le territoire.  À 6-7 ans, 87 % les filles sont déjà conscientes qu’elles seront jugées plus en fonction de leur allure que leurs compétences.

En revanche, les standards de masculinité à part entière s’incarnent dans des jouets de nature violente, qui vont bien plus loin que des sports agressifs ou des jeux vidéo combatifs. Au-delà même des figurines de guerriers (G.I. Joe, super héros, lutteurs), on a même transformé fusils et épées – ces armes mortelles – en jouets.

Ces penchants semblent certes anodins, mais elles se traduiront en tendances systémiques importantes à l’adolescence. Comparons par exemple les perturbations psychologiques de l’image du corps et les troubles de conduites alimentaires chez les hommes et les femmes. Comparons aussi les comportements violents des sexes. Certes, ce n’est pas entièrement redevable aux jouets, mais à quoi bon verser de l’huile sur le feu?

« Le jeu est le travail de l’enfance », écrit Jean Piaget. Si le travail crée le monde d’aujourd’hui, le jeu crée le monde de demain. Pensons-y bien lorsque viendra le temps d’acheter nos prochains jouets.

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