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Opinions

Au-delà de nos frontières, il y a tout un monde

20 janvier 2014

– Par Alex Jürgen Thumm –

Aujourd’hui, j’ai pris mon dîner dehors sur la terrasse de la cafétéria. Je profite de mon tout premier hiver sans hiver comme il faut : en explorant d’autres pays sans hiver. À Noël, j’ai pu découvrir et déguster l’Italie, d’où vient à peu près 0,9 % de la population de l’Allemagne et probablement 40 % de sa cuisine préférée. En contrepartie, 2,5 millions d’Allemands choisissent l’Italie pour leurs grandes vacances et y dépensent 8,8 milliards d’euros.

L’Italie était fantastique, mais bien des fois elle m’a plutôt rappelé la Chine et a moins correspondu à ma représentation de l’Europe. Cela dit, je dois vous avouer : en revenant à l’Allemagne, je n’avais jamais été si heureux de revenir chez moi et si épris de la beauté et du bon sens de ce pays, l’Allemagne.

Le mois dernier, je me suis assis avec un camarde de classe irlandais pour discuter de la politique étudiante en Irlande. La semaine d’avant, il avait publié un lien sur Facebook sur une initiative de la fédération étudiante de son université, Trinity College, qui a piqué ma curiosité. Tout comme notre FÉUO, elle souffre d’un manque d’intérêt aux élections. Elle a donc lancé une campagne sur « lead.tcdsu.org » où non seulement on explique le déroulement des élections, étape par étape, et le travail requis pour chaque poste, mais on peut aussi recommander des gens aux élections de façon anonyme; ceux-ci seront rejoints plus tard par la fédération, qui essayera de les convaincre de candidater. Un plaidoyer pour le syndicat étudiant, ce site donne les raisons pour lesquelles on devrait s’engager et, me semble, aller loin au-delà de ce qu’offre la FÉUO durant les élections. Là, si tu n’es pas déjà au courant des choses, tasse-toi de côté et laisse le travail aux expérimentés.

Leur objectif à Dublin est d’augmenter le compte de candidats et l’intérêt dans les élections, mais en plus de ça, me dit Fiachra Ó Raghallaigh, on souhaite faire venir des candidats « non traditionnels » dans la sphère politique. Une sphère typiquement dominée par les mêmes gens « plates » d’un mandat à l’autre.

Les fédérations étudiantes en Irlande ressemblent aux nôtres au Canada, plus que celles en Allemagne ou en France. Dans les mots de Ó Raghallaigh, « elles servent à combler la lacune laissée par l’État et y rajoutent un aspect politique ». Mais comme chez nous, ces institutions failliraient à inspirer les gens la plupart du temps. La fédération à Trinity lance elle aussi des campagnes de nature « politique » de temps à autre, qui sont condamnées à la naissance. En Irlande, le corps étudiant paraît vouloir se dépolitiser, quel que soit le sens de cela. Certains revendiquent leur droit de débourser davantage pour une éducation meilleure. À haut les frais!

Leur existence politique n’est pas remise en cause d’en haut, au moins. En décembre, j’ai rapporté que la représentation étudiante politique vient d’être rétablie au Bade-Wurtemberg après une absence de 30 ans. En Grande-Bretagne, notre pays colonisateur, le gouvernement se met à la chasse aux sorcières. Ciblés : les étudiants organisés. La fédération de l’Université de Londres fait face à son abolition. L’administration de l’université prétend ne plus reconnaître sa pertinence. On dit que les fédérations étudiantes ont perdu leur raison d’être, que ce sont des vestiges du passé. C’est toujours à l’oppresseur d’assurer les opprimés qu’il n’y a plus rien à craindre. Bienvenue au soi-disant monde postidéologique.

« Soyez indien, répétez après nous »

La complexité des rapports entre l’Allemagne et ses immigrants est peu saisie ici, encore moins au-delà de ses frontières. 25 % des Francfortais sont des étrangers, autant des Berlinois sont d’« origine migrante ». Moins laïques mais plus ouverts que les Français, les Allemands oscillent entre « multi-kulti » et, bien, néonazi. L’état d’esprit ressemble peut-être le plus à celui du Québec, en fait. J’en reviendrai la prochaine fois.

Bien avant que les Allemands aient des soucis à se faire à cause des étrangers chez eux, ils rêvaient des gens étrangers dans le Nouveau Monde : les Amérindiens. Vous avez peut-être entendu parler de Karl May, l’écrivain allemand de nombreux romans aventuriers sans avoir traversé l’océan. Ses récits de « bons sauvages » ont déclenché un mouvement en Allemagne qu’on dénomme le « hobby indien », un passe-temps pour ceux et celles qui se souhaient leur liberté et mode de vie supposément purs et naturels. Bref, il s’agit d’Allemands obsédés par la culture « indienne » (pensez au style Bonanza). Pas les cultures autochtones. Ils ne vivent pas comme les Premières Nations contemporaines, ils s’intéressent à leur interprétation du passé.

Le printemps dernier, pour un cours en études autochtones, j’ai interviewé la présidente de la Native American Association of Germany, qui regroupe les vrais Amérindiens vivant ici. Ceux-ci n’en sont pas trop impressionnés. Quoique nombreux Allemands soient ravis de rencontrer un Amérindien (un ami à moi a dû prendre des photos avec les douaniers à Francfort), ceux-là les traitent d’objets historiques, dignes d’un musée, et non d’individus qui eux aussi mangent de la pizza et ont des histoires à raconter indépendantes de leur culture. On leur demande même à bénir des plumes.

Les hobbyistes s’approprient les cérémonies traditionnelles à leur façon. Les visiteurs amérindiens participant à leur pow-wows (apparemment pas hygiéniques du tout, d’ailleurs), qui pourtant mettent en relief les faussetés, sont rejetés parfois. Les hobbyistes se considèrent des « Indiens » plus authentiques que les vrais.

Il y a pourtant aussi des aspects moins pénibles. Par exemple, quelques Allemands rares ont appris des langues que personne en Amérique ne parle plus. Le lakota serait la plus populaire. Des Autochtones nostalgiques se rendent ici pour reprendre la culture de leurs ancêtres. Néanmoins, ils s’adressent à n’importe quel Amérindien en lakota, se trompant qu’il est une langue universelle.

Fribourg, où j’étudie, en est un des foyers les plus importants en Allemagne. On retrouve ici la Bissasha-Lake Company, le club Sioux West et le Wild West Club. Pas mal, non? Même devant mon immeuble il y a un tipi pour les enfants du quartier. La ville est reconnue comme la ville la plus verte et grano du pays. Se peut-il que ça revienne à leur désir de retrouver leur apparence à la terre, ou de se réconcilier avec celle-ci? Peu importe, ça prendra des gens de l’Île de la Tortue (nous) pour redresser l’histoire.

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