
Association des diplômés de l’Université d’Ottawa : Se financer en encourageant l’endettement étudiant ?
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Par Yasmine Mehdi
Vous les avez surement vus, installés au Centre universitaire, arborant un grand sourire, vous invitant à vous informer au sujet d’une carte de crédit quelconque. Si vous n’étiez pas trop pressé.e, ou que leurs t-shirts gratuits vous ont interpellé.e, peut-être vous êtes vous même arrêté.e assez longtemps pour apprendre que cette carte de crédit était le fruit d’un partenariat entre l’Association des diplômés de l’Université d’Ottawa (ADUO) et la banque MBNA. Mais quels secrets se cachent derrière ce partenariat, loin d’être le seul de l’Association en question? La Rotonde a mené sa petite enquête.
Les quelques entreprises partenaires de l’ADUO
Salon d’emplois, semaines de la carrière, soirées de réseautage ou conférences avec des diplômés : les évènements organisés par l’Association des diplômés de l’Université d’Ottawa sont nombreux et s’adressent souvent à l’ensemble de la communauté universitaire.
Bien que la tâche de garder contact avec près de 211 000 diplômés aux quatre coins du monde soit pour ainsi dire colossale, il semblerait que l’administration de l’Université d’Ottawa ne puisse se permettre d’allouer un budget suffisant à l’ADUO.
Résultat de cette lacune budgétaire, l’ADUO est contrainte de se tourner vers des partenaires œuvrant dans le secteur privé. Ainsi, depuis 1995, un contrat lie l’association à la compagnie d’assurance vie Canada Life. En 2001, c’est avec la banque MBNA qu’elle conclut un accord. Finalement, en 2005, elle s’associe avec Johnson, une compagnie d’assurance habitation, automobile et voyage.
Christina Richard, directrice adjointe au Bureau des relations avec les diplômés, est catégorique : « Sans nos partenariats, l’Association ne pourrait pas financer la plupart de ses activités. » Pour Richard, ces partenariats seraient par ailleurs quadruplement gagnants : pour les diplômés, qui bénéficient de promotions, pour la communauté universitaire, qui profite des évènements organisés, pour les entreprises, qui accèdent à de potentiels clients et finalement pour l’ADUO, qui en tire des bénéfices économiques.
Impossible cependant de savoir à combien se chiffrent les revenus que génèrent ces partenariats. Richard confie que les nombreux évènements organisés auraient des couts avoisinant « les centaines de milliers de dollars », sans donner plus de détails.
La Rotonde a contacté Canada Life, MBNA et Johnson afin d’obtenir des renseignements additionnels, en vain. Diane Grégoire, directrice des communications de Canada Life, a notamment évoqué des raisons de « confidentialité et de protection des renseignements personnels » pour justifier le refus de la requête médiatique.
Avoir le crédit facile
Si peu d’information est disponible quant aux partenariats de l’ADUO, il reste que des représentants de MBNA sont souvent de passage sur le campus pour faire la promotion de leur carte de crédit MasterCardMD récompenses MBNA de l’Université d’Ottawa.
Postés au Centre universitaire lors des premières semaines suivant le début de session, les représentants attirent de nombreux étudiants en leur promettant un t-shirt gratuit s’ils font une demande. Le processus ne prend pas plus de cinq minutes : l’étudiant tend son permis de conduire au représentant MBNA, qui, iPad à la main, remplit à son tour un formulaire. Une signature numérique plus tard, le tour est joué et il ne reste plus qu’à attendre de recevoir la fameuse carte par la poste.
Un ancien représentant de MBNA, que nous prénommerons Pablo, estime avoir vanté les mérites de la carte MBNA à environ 1000 étudiants depuis septembre. « La plupart des personnes qui remplissent le formulaire viennent d’arriver à l’Université et c’est leur première carte. Parfois, ils ne connaissent même pas le concept de crédit et il faut tout leur expliquer », explique-t-il.
Il convient de préciser que des dépliants sont également mis à la disposition des étudiant.e.s qui remplissent une demande afin de leur apprendre à « acquérir dès maintenant de bonnes habitudes de crédit ».
Malgré ces dispositions, Pablo raconte qu’un étudiant l’a déjà apostrophé pour lui reprocher de faire la promotion du crédit auprès d’une population croulant souvent déjà sous les dettes.
De son côté, Christina Richard assure que le partenariat entre l’Association des diplômés et la MBNA ne pousse en aucun cas à l’endettement étudiant: « Ce n’est pas tous les étudiants qui sont approuvés pour une carte de crédit. Il y a des critères assez rigoureux, et MBNA a un assez faible taux d’acceptation. »
Ce constat n’est en aucun cas partagé par Pablo, qui rétorque : « Plusieurs personnes ont été refusées par d’autres banques parce que leur revenu était insuffisant, mais elles ont été acceptées pour la carte avec MBNA. C’est une carte vraiment facile à obtenir pour les jeunes. »
Si la question de l’endettement étudiant se pose, il n’en demeure pas moins que les gains pour l’ADUO sont bien réels. En effet, en consultant son site web, on apprend qu’un pourcentage des revenus de MBNA est versé à l’Association « pour soutenir des projets destinés aux diplômés et aux étudiants ». Cependant, encore une fois, impossible de quantifier cette somme.
Quand publicités et confidentialité ne font pas bon ménage
Depuis quelques mois, Marc-André Bonneau, diplômé de l’U d’O et ancien rédacteur en chef de La Rotonde, reçoit dans sa boite aux lettres de nombreuses publicités sur lesquelles se trouve le sceau de l’Association des diplômés de l’U d’O.
« J’ai trouvé ça un peu étrange, parce que je n’ai jamais donné mes coordonnées à l’Association des diplômés et que je n’ai jamais donné mon autorisation pour recevoir des publicités », explique-t-il.
Christina Richard confirme que l’ADUO se sert de la base de données de l’Université d’Ottawa afin de retrouver les coordonnées des diplômés, bien que l’Association des diplômés soit une entité complètement indépendante de l’U d’O d’un point de vue juridique.
La situation semble d’autant plus préoccupante lorsqu’on considère que, selon l’article 39 de la Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée de l’Ontario, les individus dont les renseignements personnels sont recueillis pour le compte d’une institution devraient être informés des « fins principales auxquelles doivent servir ces renseignements personnels », ce qui n’aurait pas été le cas pour Bonneau.
Parmi les publicités, une lettre en date du mois de novembre dernier, signée par nulle autre que la présidente de l’ADUO, Élizabeth Rody. Cette lettre rappelle notamment aux diplômés qu’ils bénéficient de taux préférentiels sur les assurances Johnson, « une des compagnies d’assurance les plus importantes au Canada » qui offre « un service de première qualité ».
Ce n’est pas la seule lettre signée de la plume d’Elizabeth Rody qu’a reçue Bonneau. Une autre, cette fois pour faire la promotion de la carte de crédit MasterCard Platine Plus de l’Association des diplômés de l’Université d’Ottawa, lui a été envoyée (((le xx mois)). « Vous y gagnez, tout comme l’Université d’Ottawa », peut-on d’ailleurs y lire.
« Dans le contexte où les diplômés sont de plus en plus endettés à la sortie de leurs études, ça me dérange de voir que l’Association des diplômés utilise l’image de l’Université, une institution neutre à laquelle on devrait pouvoir faire confiance, pour que les gens croient que cette carte est meilleure que les autres », dénonce Bonneau.
Cependant, à l’heure où la haute administration se dit ouvertement préoccupée par la situation financière de l’Université d’Ottawa, difficile de croire que les partenariats avec le secteur privé pourraient devenir chose du passé, ou que les diplômés cesseront d’être indirectement appelés à participer à l’effort de guerre. À ce sujet, rappelons que, l’année dernière, les dons de ceux-ci à leur alma mater avoisinaient les 20 millions de dollars.