Un mème internet populaire propose une expérience de pensée : imaginez qu’on traite les maladies physiques de la même manière qu’on traite des problèmes de santé mentale (PSM). « Passer tes journées au lit ne t’aide clairement pas », raisonne un homme à son ami dans le coma. « Je ne crois pas que ça soit sain d’avoir à prendre des médicaments juste pour te sentir normal », lance une femme concernée à un diabétique. « C’est comme si tu n’essaies juste pas », « tu dois juste changer ton état d’esprit », prêchent deux collègues à des gens qui saignent de tous bords, tous côtés.
Cette méditation souligne une évidence : la santé mentale n’est simplement pas prise au sérieux.
La marque indélébile d’un discours
La stigmatisation des personnes ayant été diagnostiquées avec des PSM est souvent décrite par la littérature spécialisée.
Elle est, dit-on, en grande partie une conséquence de l’invisibilité des PSM. Contrairement à une plaie ouverte, l’anxiété n’est pas visible à l’œil nu. Mais ne voit-on pas les séquelles de l’anorexie au même titre que celles du SIDA? Le personnage insomniaque en état de stress post-traumatique de Christian Bale dans The Machinist n’est-il pas aussi visiblement souffrant que le quadriplégique de Javier Bardem dans Mar adentro ou Joseph Gordon-Levitt dans 50/50? Ne serait-il pas plutôt qu’on choisit – inconsciemment, peut-être – de ne pas le voir?
D’autre part, tout un discours vient renforcer ce phénomène. Dans le vocabulaire de tous les jours, on utilise les termes liés au domaine de la santé mentale de manière péjorative. Retardé, fou, mental, psycho, junkie… la liste est longue. Jamais ne dirait-on « cancéreux » dans le même sens. Les médias ne font pas exception à la règle non plus. Au lieu de réévaluer le contrôle des armes à feu, la dissémination sociale du racisme et l’omniprésence de la culture du viol, ils pointent du doigt les troubles psychologiques pour expliquer les tueries des dernières années. Ceci, même si plusieurs recherches démontrent qu’il n’y a pas de corrélation entre la plupart des PSM et la violence.
Le fils de nos œuvres
La narrative social perdure ainsi à distinguer les PSM des « vraies » maladies. À la base de cette dichotomie est une illusion de contrôle. Les PSM les plus fréquents – soit les troubles de personnalité (dépression, anxiété, personnalité limite, dépendance et certaines conditions schizoïdes) – se manifestent dans le comportement. Le comportement, dit-on, est sous notre contrôle. « Il faut s’en remettre. » « On est rendu trop vieux pour ça. »
Toutefois, le comportement n’est pas le produit d’un libre arbitre divin, mais d’un large éventail de facteurs contextuels. Ces facteurs incluent les dispositions biologiques, les normes culturelles, les conditions socio-économiques et bien d’autres choses encore. Le « self-made-man » est toujours un mythe : en santé mentale comme en économie. Tenter d’expliquer le bien-être psychologique en se penchant sur des cas particuliers, c’est manquer le bateau.
Il en résulte une situation précaire. Les personnes ayant été diagnostiquées avec des PSM se voient isolées et aliénées. Seulement un quart d’eux se sentent traités avec sympathie et compassion.
Indéfini et en plein changement
Pourtant, la définition de la santé mentale est en plein changement. Loin derrière nous sont les jours où l’on parlait simplement de l’absence de maladie mentale ou de troubles psychologiques. L’approche privilégiée depuis quelques années, la « psychologie positive », se tourne plutôt vers le développement personnel : la capacité de se prendre en main, de faire face aux défis et de jouir de la vie.
La santé mentale parle d’une diversité d’expériences. En plus de la multitude de problèmes qui peuvent affecter les gens, les mêmes conditions affectent différents groupes ethnoculturels – et même différents individus des mêmes groupes – de manières divergentes. Certains s’isolent, d’autres sortent tous les soirs. Certains mangent trop, d’autre pas du tout. Certains surmonteront leurs difficultés et seront vites à blâmer les hormones d’adolescents. D’autres trouveront un régime de légumes crus et de yoga qui fonctionne pour eux.
Mais bien des gens, en dépit des meilleurs efforts fournis et même avec tout le chou frisé au monde, devront négocier ce fardeau tout au long de leur vie.
Il faut donc percevoir la santé mentale comme l’entrecroisement de plusieurs continuums. En plus de la présence ou l’absence de maladie diagnostiquée, la psychologie positive explore un continuum de bien-être subjectif et de fonctionnement positif. Une personne est dite fleurissante lorsqu’elle accepte et gère sa condition, s’intègre et s’actualise socialement, et démontre de l’autonomie et du développement personnel qui contribue à sa satisfaction.
Cette approche tente ainsi de divorcer le sentiment d’identité du diagnostic. On existe sur le même plan, non en tant que point fixe, mais en tant qu’êtres qui se transforment.
Certes, la vie est plus difficile pour certains que pour d’autres. Oui, tout le monde est différent. Non, ça n’ira pas toujours bien. Mais, tout compte fait, on est plus qu’une maladie.