Photo courtoisie
Par Emmanuelle Gingras, cheffe du pupitre arts et culture
Du 21 au 23 février, Lara Kramer présentait une performance de grande envergure, Windigo, accompagnée d’une exposition, Phantom Stills & Vibrations. Un minimalisme visuel prenant, mais d’une lourdeur de contenu pressante à aborder permit de témoigner d’un cri d’impuissance strident de cette chorégraphe canadienne à surveiller. C’est dans le cadre de FACE à FACE, à la Cour des Arts, qu’il nous fut présenté cette œuvre wake up call d’après la distribution de Peter James et Jassem Hindi.
Mais qu’est-ce qu’un Windigo ? Il s’agit de figures surnaturelles algonquines. Elles sont souvent initialement des humains ayant pris la forme de cette figure monstrueuse en raison d’un comportement trop faible et cupide, dans la plupart des légendes. Ceux-ci sont assoiffés de sang et sont souvent présentés dans des contes traitant de l’isolement, de l’égoïsme et de l’importance de la communauté, lien pertinent à faire avec les injustices qu’aborde Kramer dans son œuvre.
La violation des terres des Premières Nations est un sujet récurrent chez la jeune chorégraphe, comme le prouvent ses œuvres NGS (Native Girl Syndrome), This Time Will be Different, The Indian Problem, Fragments. Windigo fait écho à un retour que celle-ci a fait au Lac Seul, pays de sa grand-mère et où tout son bagage culturel lui retombe dessus.
C’est un bandeau que Lara retire des yeux de tout Canadien qui ne voit que ce qu’il veut voir, qui garnit le problème pour ensuite en vanter la générosité. C’est un rappel que l’on passe à côté des réels enjeux, alias, la crise culturelle et économique perpétuelle de peuples démantelés.
Un décor qui gueule
Lara Kramer, omniprésente sur scène, demeure discrète dans son rôle de responsable de l’environnement sonore. Entre des voix d’enfants et des crépitements, la chorégraphe nous ramène dans son voyage dans le Nord-Ouest de l’Ontario.
Celle-ci ne participe à l’action qu’une fois au courant de la performance, où elle s’installe dans un coin et fait des constatations sur ces cours d’histoire que l’on connaît au sujet des Premières Nations, mais elle garde le public ébahi, culpabilisant. En effet, Kramer, d’origine ojie-crie et menonnite, n’est que témoin des enjeux entourant les communautés de Premières Nations et n’a pas directement subi les impacts. C’est pourquoi le minimalisme de la performance forme un regard raisonnable sur la chose ; celle-ci est humble face au sujet.
Au cœur de la plupart des actions : trois matelas blancs et propres. Ceux-ci deviennent du bétail, un foyer, un trou où se cacher, un poids à porter. Bref, leurs usages multiples se concrétisent symboliquement d’après les interactions des deux interprètes ont avec les objets. Ils sont le berceau d’un confort qui devient vite dépouillé par des canifs avant d’être mangé, vidé ou bourré. Bourrés du corps même des acteurs, d’objets divers ou de vêtements, dans un coin, qui colorent l’ambiance froide des éclairages de néon blanchi. Toutes actions portent une signification grinçante ; par exemple, l’on situe Jassem Hindi qui rembourre artificiellement l’un des matelas vidé par des vêtements joliment colorés pour ensuite le malmener. Toutefois, celui-ci s’en sert aussi pour se pavaner en le promenant un peu partout, en le maniant fièrement depuis ce qui pouvait ressembler à une laisse. Écho aux moyens superficiels de récupération d’un génocide culturel ? Qui sait.
Lourdeur tempérée
Sur scène, une longue histoire où s’éternisent parfois les actions. Kramer opte pour une approche subtile qui est tout sauf criarde ; l’on s’endort presque devant ce portrait d’une grande tristesse. Le spectacle est relativement court, ce qui rééquilibre le tout. Certaines séquences auraient cependant pu être raccourcies.
C’est avec subtilité que les deux acteurs sur scène font parler leurs corps avec précision, fondus en une ambiance qui réussit à se faire minimaliste, mais sait quand même évoquer le superficiel. Ceux-ci sont brillants ; présents et forts à leur façon.
Le premier interprète, Jassem Hindi, est frivole. Il fait écho à l’insignifiance enfantine, à des pulsions aveugles, non — calculées, et par lesquelles le second personnage s’épuise à un moment au courant de la performance. Un des seuls moments où ceux-ci interagissent. Celui-ci se déshabille et se rhabille aisément, toujours dans un grotesque corporel humoristique. De son côté, Peter James a su porter une performance des plus perturbantes. Son corps recroquevillé et de roc accompagné de son regard en constant jugement, se battant contre à peu près tout et, semble porter un vécu qui intrigue.