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Arts et culture

Animaux sur scène, douleurs en scène

Crédit visuel : Athéna Akylis Jetté-Ottavi — Cheffe du pupitre Arts et culture

Chronique rédigée par Athéna Akylis Jetté-Ottavi — Cheffe du pupitre Arts et culture

Il y a, dans le regard d’un tigre qui saute à travers un cerceau enflammé ou dans la pirouette d’un dauphin devant un public en liesse, une illusion d’harmonie. Une fausse complicité entre l’animal et son dresseur. Mais cette magie n’est qu’un décor. Derrière le rideau de velours rouge se trouvent des chaînes invisibles.

Dans les coulisses, le dressage n’est pas toujours un jeu. Il s’agit parfois d’une répétition douloureuse de gestes appris à coups de peur, de privations et de punitions. « Toute forme d’entraînement reposant sur le renforcement négatif est de la cruauté. », affirme Jennifer Friedman, avocate spécialisée en droit animalier. Pourtant, ces méthodes persistent, tolérées dans l’ombre, justifiées par une industrie du divertissement qui préfère l’applaudissement au bien-être de ces pauvres animaux.

Le droit, troué comme un filet de cirque

Le code criminel canadien interdit la souffrance animale dite « inutile ». Mais qu’est-ce qu’une douleur utile quand elle est infligée pour faire rire ou émerveiller un public ? Un éléphant contraint à peinturer pour des vues sur Tiktok, un chien habillé en clown, un singe qui danse sur commande : ces comportements ne sont pas des talents, ce sont des signaux de détresse transformés en spectacle.

Même les cétacés, pourtant parmi les plus intelligents et sensibles des êtres marins, ne sont pas épargnés. Toute personne qui organise un spectacle mettant en scène des cétacés en captivité commet une infraction – sauf si une autorisation lui a été donnée, rappelle Friedman. Une exception qui rend la règle creuse. Comme un aquarium fissuré qu’on colle maladroitement au lieu de le réparer.

Ces bassins, d’ailleurs, sont une métaphore parfaite. De loin, ils semblent paisibles, lumineux. Mais pour l’animal à l’intérieur, c’est une cage de verre sans écho, un monde réduit à quelques mètres carré d’ennui et de détresse.

Tokitae : l’illusion tragique d’un monde marin

On pense à Tokitae, aussi connue sous le nom de Lolita, une orque capturée en 1970, arrachée à sa famille dans les eaux du Pacifique alors qu’elle n’avait que 4 ans. Elle a passé plus de 50 ans dans un minuscule bassin à Miami, séparée de sa mère, qui l’a appelée pendant des décennies de l’autre côté de l’océan. Tokitae a perdu tous ses compagnons — dont plusieurs sont morts prématurément — et n’a jamais pu avoir de petits viables. Son bassin, trop petit pour une simple longueur, était à peine plus grand qu’une piscine municipale. Elle est finalement morte en captivité en 2023, sans retrouver la mer.

Mais ce drame n’est ni unique ni lointain. Au Canada, une autre orque, Kiska, a connu un destin tout aussi déchirant. Kiska a vécu au Marineland de Niagara Falls pendant plus de 40 ans. Comme Tokitae, elle a été capturée jeune, en Islande, puis isolée après la mort de tous ses compagnons. Pendant les dix dernières années de sa vie, elle a nagé seule dans un bassin, sans contact avec un autre cétacé, une situation contraire aux besoins sociaux fondamentaux des orques. En 2021, une vidéo virale la montrait se frappant la tête contre les parois de son bassin, signe de détresse extrême. Elle est morte, à son tour, en 2023, elle aussi, dans un silence glacial.

Ces deux histoires, séparées par une frontière, racontent pourtant la même tragédie : celle d’êtres vivants, sensibles, sociaux, intelligents, transformés en attractions pour les humains. Leur isolement n’est pas qu’un détail : c’est une forme de torture chronique invisible au public, mais dévastatrice.

Dresseurs sans règles, animaux sans voix

Ce qui glace, c’est de découvrir qu’au Canada, n’importe qui peut se proclamer « dresseur.se ». « Le titre ne requiert aucune accréditation. Le pays est pratiquement dépourvu de réglementation à ce sujet », déplore Friedman. On confie donc des vies animales à des mains parfois bien mal préparées ou trop bien rodées à la brutalité.

Et pendant que les lois tergiversent, le spectacle, lui, continue. Faire pédaler un ours, jouer du piano à un chat ou regarder un singe se maquiller : ces numéros séduisent, car ils nous donnent l’illusion d’un animal « comme nous ». Mais à trop vouloir humaniser l’animal, on déshumanise notre regard sur sa souffrance.

Ces actes, ni naturels ni nécessaires, sont souvent appris dans la contrainte. Ils font rire les enfants, mais brisent quelque chose chez l’animal : sa dignité, sa liberté, son instinct. Est-ce la des actions que nous voulons apprendre à nos enfants ?

Changer le scénario

Certaines provinces, comme la Colombie-Britannique, avancent vers plus de protection. D’autres restent figées dans un passé où l’animal n’est qu’un accessoire de foire. En attendant une réforme plus large, les voix comme celles de Friedman, ou des groupes comme Animal Justice, s’élèvent. Elles plaident pour une véritable reconnaissance du droit des animaux à être simplement… des animaux libres.

Nous avons, en tant que public, un rôle à jouer. Chaque billet acheté pour un cirque avec des lions ou un spectacle marin avec des dauphins valide, indirectement, cette souffrance. Refuser d’y participer, c’est commencer à tirer le rideau sur une injustice trop longtemps applaudie.

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