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Accommodements des étudiants en situation de handicap : La Faculté de droit accusée de brimer les droits de la personne

26 janvier 2015

– Par Marc-André Bonneau –

L’accommodement des étudiants en situation de handicap, bien qu’il soit garanti par les Droits des personnes, est un processus particulièrement difficile dans la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa. Un courriel de la Faculté a récemment indiqué aux étudiants qu’ils n’ont plus le droit à du temps supplémentaire pour accomplir leurs examens maison, bien que ce droit ait été respecté dans les dernières années. Le processus d’accommodement pose des problèmes systématiques en termes d’équité et de confidentialité. Portait d’une situation critique.

La Faculté limite les accommodements

« Les examens faits à la maison constituent déjà une mesure d’accommodement à l’intention de toute la population étudiante », pouvait-on lire dans le courriel envoyé par la Faculté de droit aux étudiants de la section Common Law.

Les étudiants ont été informés deux semaines avant les examens finaux de la dernière session, malgré le fait que les extensions aient été accordées dans le passé. Mireille Gervais, directrice du Centre de recours étudiant, argumente que le changement va à l’encontre des droits de la personne. « C’est une mesure qui, selon moi, brime les droits de la personne des étudiants, parce que la Faculté dit que les examens maison sont des examens qui sont adaptés de facto parce qu’ils sont plus longs que les examens réguliers ». Mme Gervais défend que l’ensemble des méthodes d’évaluation devrait offrir des accommodements aux étudiants en situation de handicap.

« Le droit à plus de temps, c’est pour répondre aux contraintes de temps de trois heures qui sont normalement exigées. […] Un examen maison, c’est un examen normalement de trois heures, mais qui peut se faire en 24 heures. Ce n’est pas un examen de 24 heures », défend Nathalie Des Rosiers, doyenne de la Faculté de droit.

Mme Gervais revendique que la situation requiert tout de même des accommodements. « Ce que les étudiants me disent, c’est que ces examens prennent vraiment sept ou huit heures à rédiger », réplique cette dernière. Face à la question, Mme Des Rosiers avoue que la décision est controversée. « C’est un débat. […] Mais si tu as 24 heures, et parfois plus que ça, tu as le temps », renchérit-elle.

Les enjeux de cette nouvelle mesure ne se limitent pas à la durée. « Les étudiants qui ont droit à du temps supplémentaire pour leurs examens, incluant leurs examens maison, ont toujours eu ce temps supplémentaire jusqu’à cette année. Le nouveau processus a été annoncé aux étudiants le 24 novembre. Ce n’est pas quelque chose que les étudiants ont su dès le début du semestre », critique Mme Gervais. Conséquemment, les étudiants touchés ont eu des options limitées suite à l’annonce.

Contrairement à ce qu’indique le courriel envoyé par l’équipe du bureau des Affaires scolaires, Mme Des Rosiers a précisé que certains arrangements demeurent possibles. « Il y a quand même [de l’adaptation]. Ça dépend toujours des besoins de la personne. On veut régler ces cas de façon individuelle », a expliqué la doyenne.

Toutefois, lorsque les décisions ne répondent pas aux recommandations du Service d’appui au succès scolaire (SASS), les motifs qui encadrent la prise de décision demeurent flous. « Quels sont les critères sur lesquels on se base [pour décider] alors que les services d’accès recommandent des accommodements? », questionne la directrice du Centre de recours étudiant.

Des changements justifiés par une nouvelle approche

Cette nouvelle mesure s’explique par les efforts de la Faculté d’adopter une approche qui vise à créer un environnement d’apprentissage déjà adapté pour tous les étudiants, peu importe leur besoin. Cette approche, d’une conception dite universelle, est actuellement coordonnée par Joanne St-Lewis, professeure adjointe à la Faculté de droit. Le directeur du SASS, Murray Sang, déclare fermement que « la conception universelle [des évaluations] est bonne ».

Toutefois, la façon dont l’approche a été appliquée ne fait pas l’unanimité.

« Il faudrait demander à chaque et unique professeur qui utilise des examens maison si l’examen est vraiment un examen de trois heures pour lequel plus de temps est donné. Je ne peux pas spéculer à savoir si la Faculté a vraiment été voir tous les profs […], mais considérant que les examens sont souvent similaires d’une année à l’autre, j’ai une inquiétude », soutient la directrice du Centre de recours étudiants.

Consciente des enjeux que cette nouvelle approche a apportés, Mme Des Rosiers rappelle que « toutes les périodes de transition sont difficiles ». Cette dernière demeure optimiste quant à cette nouvelle méthode.

« Ce que je trouve excitant dans la perspective de la conception universelle, c’est d’essayer d’adapter la pédagogie [aux accommodements]. C’est plus compatible, notamment avec la convention internationale sur les droits des personnes handicapées », affirme Mme Des Rosiers.

Cette dernière précise que la Faculté de droit fait déjà des accommodements à l’admission en acceptant des étudiants qui ne seraient pas acceptés ailleurs au pays. « On a un fardeau supplémentaire, dans ce contexte-là, pour bien répondre à leurs besoins », argumente Mme Des Rosiers.

L’adaptation influencée par l’ordre professionnel

Bien que les mesures d’adaptation soient identifiées par le SASS, les facultés ont le pouvoir d’accepter ou de refuser les recommandations. Ce pouvoir est surtout utilisé par les facultés liées à un ordre professionnel, telles que la Faculté de droit et la Faculté de médecine. Les facultés ont ainsi le pouvoir de refuser des adaptations qui permettraient d’inclure des étudiants qui ne correspondent aux standards d’un ordre professionnel. C’est présentement Joanne St-Lewis qui s’occupe, avec Amanda Turnbull, la doyenne adjointe, d’appliquer les recommandations du SASS.

« La Faculté de droit et la Faculté de médecine, à cause de ces professions, ont [leur propre] bureau d’accessibilité », explique Murray Sang. « Ce n’est pas la Faculté qui connaît votre situation, c’est le bureau. Toute la documentation reste avec nous. Nous travaillons avec des personnes à la Faculté pour mettre en place des accommodements. C’est plus compliqué à cause des demandes professionnelles », explique ce dernier.

« Avec [la Faculté de] droit, j’imagine qu’il y a des exigences pour la prise de note ou pour ce qui se déroule en cour. Je ne suis pas un expert du Common Law, mais ça demande que certaines choses soient faites dans un temps réaliste », affirme M. Sang.

Mme Gervais conteste ces exigences en présentant qu’une multitude d’opportunités de carrière s’offrent aux étudiants en droit. De la sorte que le milieu professionnel ne devrait pas influencer l’accommodement des personnes en situation de handicap.

« Ce que j’entends, c’est que le problème cette année a été au niveau de l’attitude avec les étudiants avec un handicap », ajoute la directrice du Centre de recours. Selon cette dernière, « le manque de communication des décisions et des changements de processus à l’avance » témoigne du problème.

« Dans toutes les facultés, c’est la faculté qui a le dernier mot », précise le directeur du SASS. « C’est nous qui faisons les recommandations et avons le mandat de faire des recommandations. Après, il peut y avoir des négociations avec une Faculté. C’est compliqué », explique M. Sang. Ainsi, l’avis médical n’a pas de suprématie dans la prise de décisions.

Un double rôle critiqué

Les recommandations du SASS sont habituellement évaluées par l’adjointe à l’Équité et succès scolaire, Jessica Simmons. Or, puisque cette dernière est temporairement absente, son poste est présentement occupé par Amanda Turnbull, doyenne adjointe de la Faculté de droit. Le double rôle que joue cette dernière pose des problèmes de confidentialité, selon Mme Gervais.

« Un de mes étudiants s’est plaint du fait que quand Jessica Simmons est partie, son dossier s’est retrouvé entre les mains de Mme Turnbull. Si un jour elle a un problème dans une autre sphère de son expérience universitaire, elle devra encore une fois se retourner vers Mme Turnbull qui a, soudainement, toute l’information par rapport à la condition médicale de l’étudiant, ou au moins, aux mesures d’accommodement auxquelles l’étudiant à droit », critique Mme Gervais. « Quand quelqu’un a un double rôle, ça peut créer des difficultés », constate la directrice du Centre de recours étudiant.

Questionnée sur l’expertise de Mme Turnbull et Mme St-Lewis pour évaluer les besoins des étudiants liés à une condition médicale, Mme Des Rosiers a assuré que « Mme Turnbull a beaucoup d’expérience et Joanne St-Lewis est une experte en équité, alors ce n’est vraiment pas une question d’expertise. Dans les cas où les étudiants se sentent à l’aise, ça peut très bien fonctionner. Ça permet une adaptation beaucoup plus fine, surtout si on veut aller vers une conception universelle », explique Mme Des Rosiers.

Les règlements facultaires briment la confidentialité

Pour demander un examen différé pour des raisons de santé, la partie 7.2 des règlements scolaires de la Faculté de droit indique que l’étudiant doit remettre au doyen adjoint « un certificat médical signé par le médecin, qui indique clairement l’état de santé de l’étudiant ». Inquiète par le bris de confidentialité qu’implique le règlement, Mme Gervais a communiqué ses inquiétudes à la doyenne de la Faculté de droit, Mme Des Rosiers.

Cette dernière a répondu à ces inquiétudes près de deux mois plus tard en indiquant que « le problème doit être discuté sous un Comité d’Équité ». De plus, la doyenne a indiqué que « le règlement est interprété de façon conforme au Code des droits de la personne et que d’aucune façon les étudiants doivent exposer leur information médicale ». Depuis cet échange, le règlement demeure inchangé.

Des recours étudiants difficiles

Le Bureau des droits de la personne permet aux étudiants insatisfaits de la décision de la Faculté de déposer une plainte formelle. Cependant, le processus peut s’avérer complexe et difficile, rappelle Mme Gervais. Le Centre des droits étudiants offre aux étudiants un encadrement dans les procédures.

« Pour aller se plaindre jusqu’à la doyenne, souvent les étudiants sont dans un état de détresse », explique Mme Gervais. « [Pour en être à cette étape], l’étudiant a vécu des problèmes à plusieurs reprises pour obtenir des accommodements. Il y a déjà eu des problèmes », indique cette dernière, qui précise que c’est particulièrement difficile pour les handicaps invisibles.

« Si l’étudiant est mal pris, il y a toujours l’Ombudsman et le vice-recteur », explique M. Sang. « Il y a une hiérarchie. Quand c’est refusé par la faculté, c’est le vice-recteur qui a le dernier mot. Mais le vice-recteur peut avoir un comité de conseil », ajoute ce dernier.

Un nouveau règlement se fait attendre

« On travaille sur un règlement pour l’accommodement des étudiants. […] Il y a un document qui est en consultation, depuis presque un an et demi. La FÉUO l’a déjà vu. [Un règlement] nous aiderait pour certains cas », a déclaré M. Sang.

Anne-Marie Roy, présidente de la Fédération étudiante de l’Université d’Ottawa (FÉUO), affirme que « souvent, l’Université écrit des politiques qui ont des bonnes intentions mais qui ne répondent pas aux besoins ». Cette dernière précise que l’appui de la FÉUO dépendra de la formulation du règlement.

Mme Roy ajoute qu’elle « aimerait que quelque chose soit fait de ce côté », en rappelant que le règlement avait fait partie des revendications d’un pamphlet intitulé « cinq raisons importantes pour ne pas étudier à l’Université d’Ottawa », distribué en octobre dernier.

« Il y a beaucoup de travail qui a été fait, mais comme d’habitude, ça prend énormément de temps. La dernière consultation était en septembre ou en octobre », a précisé M. Sang.

« On va évaluer ce qui a bien été et ce qui a moins bien été. Je suis certaine que les étudiants vont se faire entendre », conclut Mme Des Rosiers. Cette dernière ajoute que « si des étudiants ne comprennent pas pourquoi [il y a des changements], ça va me faire plaisir de les rencontrer et de leur expliquer ce qui se passe ».

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