Par: Gabrielle Lemire, Cheffe du pupitre actualités
Les mains moites, le cœur battant, Roméo rejoint sa prétendante pour lui poser la question fatidique. Évidemment, il a tout prévu pour convaincre sa dulcinée : pancartes avec jeu de mots cocasse, chocolat et bouquet de roses. Évidemment, Juliette accepte. Évidemment, ils vivent heureux jusqu’à la fin des temps.
Le bal des finissants est un rituel incontournable de la fin du secondaire. Remercions Hollywood d’avoir lobotomisé les jeunes pour que ceux-ci s’attendent à des feux d’artifice. Outre les faux espoirs, le concept reste un espace performatif, une mise en scène qui contraint ses acteurs à des rôles prescrits.
Transposition adulte de la partition
Jusque là, ça va. Le bal comme rite de passage au monde adulte, la fin des études secondaires… Cette chronique n’est pas anti-plaisir. Ce qui m’inquiète, c’est la volonté de subir ce même rituel une fois rendu à l’université.
C’est le retour de l’excitation du bal du secondaire. On sort des boules à mites costards et robes de soirée… à moins que le freshman fifteen ne nous ait atteints entretemps. Ces « proms » servent de prétexte pour revivre des moments du passé, des rituels qui reproduisent l’idéal hétéronormatif du film américain. Après avoir participé à un bal samedi, le tout est encore plus inquiétant…
La tendance est aux remakes. Et le concept du bal universitaire rajoute épilogue après épilogue à un rituel qui est déjà performatif. On s’obstine alors à rejouer des souvenirs préfabriqués, convaincus qu’on peut mieux performer lors de sa deuxième fois.
Marchands de bonheur
La tendance est à l’épilogue, on n’a qu’à noter le remake récent de Passe-partout ou tous les films qui reprennent des classiques. Les médias du divertissement capitalisent depuis toujours sur la nostalgie. C’est ce que les bals universitaires semblent viser comme phénomène. Ma surprise fut donc minime samedi en croisant plusieurs filles qui portaient, en effet, la même robe qu’à leur bal du secondaire. C’est le jour de la marmotte.
Bien entendu, les beaux habits font partie des conventions établies dans ce type d’événement. Des prix sont même accordés aux mieux habillés. Mais outre ces habits conventionnels, ce sont les traits de personnalité récompensés par les prix très peu inclusifs présentés dans ces soirées qui ressortent du lot. Ces prix cocasses sont une excellente manière de souligner l’apport de certains membres de la promotion, je le concède. Jusqu’à un certain point. Samedi, un prix a été décerné à la fille qui aurait le plus de potentiel de devenir une MILF en vieillissant.
Même en ressassant des dizaines de fois l’annonce de ce prix par deux jeunes hommes à leur collègue de classe, je n’identifie aucun aspect positif dans cette scène. Le bal, qui marque avant tout le départ des finissants pour le marché du travail, pourrait servir d’occasion pour apprécier le chemin parcouru depuis l’entrée à l’Université. Si chemin parcouru il y a eu.
Il faut être en mesure de se questionner sur notre évolution. Et ce, même si plusieurs veulent en finir avec les cours et attendent le papier officiel pour déguerpir. Ce simple papier fait-il en sorte que l’on est tout à coup prêts à affronter la « vraie vie » ? Si oui, l’Université serait une usine à fabriquer des adultes accomplis, des citoyens. Mais après la soirée de samedi, il m’est difficile d’identifier une quelconque pensée critique supposément inculquée par la documentation et les cours magistraux universitaires. Il m’est uniquement donné d’identifier la reproduction d’une structure performative, le temps d’un rituel encodé de nostalgie et de rôles qu’on rejoue sans cesse.