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Opinions

À qui profite l’apathie étudiante ?

Lettre d’opinion

Par Nonibeau Gagnon-Thibeault – Contributeur

 

Certains avaient vu en la résiliation de l’entente entre l’Université d’Ottawa (U d’O) et la Fédération étudiante (FÉUO) l’espoir d’un mouvement nouveau qui libérerait les étudiant.e.s de leur dénommée « apathie étudiante », un phénomène qui amène le campus à l’inertie depuis quelques années. Les étudiant.e.s ne participent pas à leurs institutions démocratiques. Or, l’apathie persiste alors qu’on apprend que le nouveau Syndicat étudiant de l’Université d’Ottawa (SÉUO) ne compte que quatre candidats pour cinq postes à son exécutif.

Ce n’est pas surprenant considérant que les étudiant.e.s n’ont jamais fait acte pour déloger leur Fédération aux allures frauduleuses. C’est l’administration universitaire qui s’en est occupée, financièrement en résiliant son entente, et politiquement en organisant un référendum pour les étudiant.e.s, qui a eu un taux de participation de 17 %.

Une Université au budget douteux qui police la gestion étudiante

L’Université d’Ottawa annonce le 24 septembre 2018 la résiliation de son entente avec sa Fédération étudiante en raison d’allégations de « gouvernance inadéquate, de mauvaise gestion ». Le même jour, l’Université présentait son rapport budgétaire 2017-2018 au Bureau des Gouverneurs où un surplus de 15 millions de dollars est rapporté, alors qu’elle s’attendait à un budget équilibré. L’administration envoie un courriel aux professeurs leur expliquant que ce surplus inattendu a pu être réalisé notamment grâce à la rigueur budgétaire qui leur a été imposée. Les étudiant.e.s ont eu droit au silence.

Toutefois, les vérifications comptables externes de la firme KPMG, faites selon les normes comptables du Canada, contrairement au budget de l’Université, comptait en réalité un surplus de 69 millions pour l’année scolaire 2017-2018. En fait, dans les dix dernières années, l’U d’O a engrangé des surplus cumulant 429,46 millions de dollars pendant qu’elle présentait des budgets déficitaires. Une somme qui dépasse de loin les coupures subies à la communauté universitaire. L’Université ne s’attend pas à obtenir de surplus en 2018-2019.

Suite aux allégations de fraude concernant des membres de l’exécutif de la FÉUO, dévoilées par La Rotonde, l’Université a résilié son entente avec le syndicat étudiant, partageant avoir « perdu confiance en la FÉUO après avoir été mise au fait d’allégations de mauvaise gestion financière, de conflits internes et d’inconduite au travail au sein de la Fédération ».

Les étudiant.e.s peuvent également se demander si une institution ne fait pas preuve de « mauvaise gestion financière » en présentant des budgets de façon à ce qu’il y ait régulièrement des déficits alors que les audits externes conformes aux normes comptables montrent qu’elle engrange, depuis une décennie, des surplus systématiques cumulant près d’un demi-milliard.

Une attaque envers la communauté universitaire

Les étudiant.e.s et le personnel de l’U d’O font l’objet d’une attaque sans précédent. L’Université clame le déficit pour justifier des coupures dans ses services, augmenter les frais de scolarité et mener de dures négociations avec ses employés, alors qu’elle est en situation de surplus.

Pendant que l’Université faisait une compression de 4 % de son budget, les hauts cadres se sont offerts une augmentation salariale de 4 %, comme le rapportait La Rotonde en 2017. Cela représente 1 715 000 $ additionnels distribués entre cinq employés.

La Rotonde rapportait également en 2018 la situation d’Allan Rock, ancien recteur de l’U d’O qui a fini son mandat en 2016. Rock s’est fait offrir par l’Université un contrat de professeur titulaire payé à 130 % du salaire maximal touché par ses pairs jusqu’en 2021, avec option de renouvellement jusqu’en 2022. Rock n’a aucun diplôme d’études supérieures et il est le seul professeur titulaire de la Faculté de droit dans cette situation. De ses débuts en tant que recteur en 2008 et en considérant les options que lui offre son contrat actuel, c’est 4 411 558 $ que l’U d’O pourra verser à Allan Rock jusqu’en 2022.

Aujourd’hui, les étudiant.e.s ne savent pas si leurs services pourront survivre à une allégation de fraude de moins de 30 000 $. De plus, la récente loi du gouvernement Ford qui rend non-obligatoires certaines cotisations étudiantes est un autre obstacle qui rend hasardeuse la continuation des services pour lesquels des générations d’étudiants uottaviens ont payé et travaillé.

Aucune réaction étudiante

Quelle a été la réaction de la communauté étudiante endettée lorsque La Rotonde a sorti la nouvelle de ces surplus cumulant des centaines de millions de dollars ? La FÉUO n’a rien dit à ce sujet.

Les candidats à la SÉUO n’ont rien dit à ce sujet non plus.

Et cela peut s’expliquer par le fait que, depuis la publication de la nouvelle en novembre 2018, La Rotonde n’a fait aucun suivi sur le sujet. Pire, La Rotonde n’a rien écrit à propos de l’administration de l’U d’O depuis novembre 2018.

Le Fulcrum a écrit sur les surplus budgétaires au milieu d’un seul article, qui débute sur l’interdiction du cannabis sur le campus.

Une réaction syndicale ?

Les articles sur le surmenage et la santé mentale en milieu universitaire se sont multipliés dans les dernières années. La communauté universitaire a subi des compressions et a des conditions de travail plus dures sur la santé mentale, pour finalement apprendre qu’elle crée des surplus systématiques pour son institution. Quelle est donc la réaction syndicale ?

En janvier dernier, le directeur des communications de l’Association des professeurs à temps partiel de l’Université d’Ottawa (APTPUO), Shawn Philip Hunsdale, dénonçait à La Rotonde que l’Université ne négociait pas de bonne foi et mentionnait ses surplus. L’Association des professeurs à temps plein supportait ses pairs, expliquant que l’Université offrait 1,4 % d’augmentation salariale, ce qui est en deçà de l’inflation, à « des employé.e.s parmi les plus précaires de l’Université d’Ottawa ».

Hunsdale affirmait au Fulcrum que le syndicat cherchait un fort mandat de grève pour appliquer une stratégie : « Le but d’un fort mandat de grève est d’éviter une grève, et avec espoir que l’Université aura une réponse qui ne sera pas « non » jusqu’au bout » (traduction libre). Cette stratégie paradoxale aura mené le syndicat à signer une entente de principe sur trois ans avec l’U d’O incluant une augmentation salariale de 2 %. Aucune mesure n’a été adoptée par rapport au statut précaire des professeurs.

La Banque du Canada a comme cible de maintenir l’inflation à 2 % jusqu’en 2021. Selon Statistique Canada, l’inflation moyenne en 2018 était de 2,3 %. En Ontario, de 2,4 %.

L’APTPUO n’a pas retourné ma demande d’entrevue.

Apathie ou aliénation ?

Les étudiant.e.s peinent à avoir mainmise sur leurs propres services et à réclamer leur souveraineté sur le campus. C’est de « l’apathie étudiante », disons-nous.

Si un syndicat de salariés représentant des employés en situation précaire et constituant 50 % du corps enseignant à l’U d’O doit voter un fort mandat de grève pour se faire offrir un salaire réel stagnant, alors qu’il réclame depuis longtemps une équité avec ses pairs à temps plein, et ce dans un contexte de surplus systématiques, nous devons constater que le problème dépasse l’apathie étudiante.

Nous devrions parler d’aliénation envers l’Université.

Les étudiant.e.s vont finir par se demander pourquoi ils s’endettent en payant chaque année des frais de scolarité qui augmentent plus vite que l’inflation, pourquoi ils doivent travailler plus d’heures afin de vivre, pourquoi ils doivent subir cet assaut sur leur santé financière, mais surtout sur leur santé mentale. On nous montrait des déficits, mais nous savons que cela est faux. Les augmentations salariales élevées offertes aux hauts cadres et le contrat faramineux offert à Allan Rock pendant une période dite de « rigueur budgétaire » s’expliquent davantage dans ce contexte d’austérité à sens unique.

Si les étudiant.e.s peuvent dire qu’ils ont perdu confiance envers l’Université d’Ottawa pour sa mauvaise gestion financière, seul le temps nous dira si ces-derniers agiront pour changer leur situation.

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