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3 questions pour comprendre : le devoir de mémoire

12 novembre 2018

Par Miléna Frachebois

Kouky Fianu, Professeure d’histoire

LR : Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est le devoir de mémoire ?

Kouky Fianu : C’est un mouvement, une conviction, une mythologie, ou un récit à entretenir. Et ce récit, il est constitutif ou formateur de notre pensée actuelle, de nos valeurs actuelles et on le transmet d’une génération à une autre parce qu’il traduit des valeurs.

LR : Pourquoi est-ce qu’on se souvient ?

KF : Pourquoi est-ce que des sociétés entretiennent une mythologie ? Pourquoi entretiennent-elles un récit de leur constitution ? La question est valable pour toutes les sociétés, pas seulement la nôtre. Aujourd’hui, on parle du devoir de mémoire en référence aux atrocités du XXe siècle, pour éviter de les reproduire. Je pense que c’est un leurre, mais en revanche, ce mécanisme d’entretien d’une mémoire est nécessaire dans toutes les sociétés. C’est ni typique à la société occidentale, ni typique au XXIe siècle.

Le Moyen-Âge, on s’en souvient par des mythes, on se souvient de la grandeur de l’Église par exemple, avec les vies de saints. À d’autres moments, on se souvient de la création d’un pays ou d’une ville. Ce sont les légendes de fondation des villes, c’est Rémus et Romulus à Rome. On a ces mythes fondateurs qui sont transmis et qui sont importants. Je pense que c’est inévitable, toutes les sociétés font ça.

Par ailleurs, l’intérêt du devoir de mémoire, tel qu’il est inscrit dans le présent, c’est l’hommage que l’on rend aux anciens combattants et ça, ce n’est pas du tout la même chose. À mon sens il y a trois éléments au devoir de mémoire :  le mythe fondateur, l’impression ou le sentiment que l’histoire sert de leçon, et puis cette obligation éthique, philosophique ou morale qu’on a envers des gens qui sont partis se battre. On fait ça le 11 novembre, on rend hommage aux anciens combattants, ce qui n’empêche pas d’envoyer à nouveau des gens en guerre.

LR : Selon vous, pourquoi le devoir de mémoire n’est pas l’histoire ?

KF : La mémoire pour moi n’est pas l’histoire. La mémoire c’est quelque chose qu’on entretient, qu’on fabrique, les mythes fondateurs de tout à l’heure. L’histoire c’est l’explication de ce qui s’est passé ou l’explication des changements. Pourquoi y a-t-il tel changement à tel moment dans telle région du monde ? Ça c’est ce que fait l’historien.

Ensuite, l’historien est évidemment sollicité pour la construction de la mémoire, puisqu’on prétend que c’est vrai, que ça s’est passé, donc on fait appel à l’historien. Mais ce n’est pas la fonction de l’historien. La fonction de l’historien est d’expliquer pourquoi des choses ont eu lieu, et non pas s’il faut se souvenir ou pourquoi il faut se souvenir. Cela est le job de tout le monde, et non pas seulement celui de l’historien.

Tout être sociable veut se souvenir ou pas, pour des raisons particulières. En revanche le travail de l’historien c’est de comprendre pourquoi. Par exemple, pourquoi cherchons-nous à nous souvenir ? C’est ça le travail de l’historien. C’est de comprendre pourquoi une société entretient tel souvenir. Les historiens sont des spécialistes du décodage des sociétés en changement. C’est ça leur travail.

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