Par Emmanuelle gingras
Renée, enseignante
La Rotonde : Pouvez-vous expliquer comment les agressions sexuelles sont présentes dans votre milieu de travail ?
Renée : Honnêtement, même si je voulais répondre à la question, je ne pourrais en faire la liste puisque les expériences d’une personne ne dictent aucunement la réalité d’une autre personne.
Généralement, le terme « agression sexuelle » évoque viol, attouchements, menaces… Or, les agressions sexuelles peuvent aussi être plus subtiles : commentaires inappropriés, taquineries constantes portant sur le corps, le visage, la pudeur. Une agression sexuelle peut aussi être sous forme de prise de pouvoir, d’humiliation, etc.
Je travaille dans des milieux sains, qui ne permettent pas de tels comportements. Mon milieu de travail, ici, dans la région, est accueillant et inclusif. J’ai le grand privilège de pouvoir dire que si c’était arrivé, la situation aurait été gérée avec efficacité. Je suis choyée de pouvoir exercer mon métier dans un milieu sain et intègre.
Cela signifie-t-il que ces situations n’arrivent pas dans le milieu artistique au sens large du terme ? J’aimerais croire que non, mais cette réponse manquerait de nuance.
Permettons-nous de faire le point sur ce qu’est le métier de comédienne ou de comédien puisque d’une part, nous devons accepter de nous transposer dans la vie d’un personnage, de suivre les consignes du ou de la metteur.e en scène du réalisateur.trice et d’une autre, agir avec professionnalisme et éthique, tout en étant à l’écoute de nos valeurs et de nos limites personnelles. Ce n’est pas toujours évident puisque les comédiens et comédiennes veulent d’abord et avant tout travailler et être reconnu.e.s pour un travail bien fait. Mais qu’est-ce qu’un travail bien fait et dans quelles circonstances devons-nous mettre de côté notre intégrité pour plaire et pour satisfaire la vision artistique ? Nous faut-il à ce point établir des critères en matière de comportements acceptables ?
Le consentement doit s’appliquer dans toutes les sphères de nos vies. Généralement appelés à signer des contrats, les comédiens et comédiennes devraient pouvoir exercer un certain contrôle sur ce à quoi ils et elles consentent.
Ce qui veut aussi dire que nous ne devrions pas avoir à craindre de devoir nous dévêtir, porter des vêtements révélateurs ou jouer une scène intime sans d’abord avoir été consulté, mis au courant et avoir consenti aux besoins du rôle à jouer.
Comme partout ailleurs, il est possible de dire non. Les jeunes comédiennes et comédiens vivent parfois une anxiété face à établir leurs limites (encore une fois, personnelles et uniques), de peur de se créer une réputation ou de ne plus avoir de travail.
Comment les agressions sexuelles sont-elles présentes dans le milieu, pour moi, selon ma réalité et ma perspective :
– Commentaires constants sur mon poids, la grosseur de ma poitrine. On m’a déjà dit : « excuse-moi de t’avoir encore touchée mais ils sont toujours dans mon chemin ».
– Lorsque je débutais ma carrière, j’avais beaucoup de commentaires portant sur mon casting : « Tu ne joueras jamais les jeunes premières puisque ton corps n’est pas représentatif de ton visage », évoquant que mon visage est jeune mais mon corps est trop gros.
Nous croyons simple de reconnaître une agression sexuelle, or, nous évaluons très mal la situation lorsqu’on se trouve à en vivre ou à en voir une.
LR : Avez-vous déjà reçu des demandes illicites lors d’une audition ou même dans un autre contexte ? Avez-vous des exemples ?
Renée : Un jour, j’ai fait une audition à Montréal. Une annonce publicitaire pour des céréales ; je me garde de trop de détails. Généralement, on doit se préparer. Apprendre un texte, une courte scène. C’était, en fait, une de mes premières auditions pour la télé.
Arrivée à l’audition, j’ai remarqué que nous étions plusieurs, avec le même genre de casting, sauf moi. Bref, nous étions trois à auditionner en même temps. Tout se déroulait bien. À la table se retrouvaient 3 personnes, en plus de la caméra, et d’une personne à la lecture du texte. On disait nos répliques puis, on nous a demandé, comme ça, d’exclamer des voix d’orgasmes, puis embrasser dans le vide. Les deux autres comédiennes ont exécuté la note sans même flancher. Je me souviens être restée un peu bouche bée, en ne sachant pas comment réagir. Il s’agissait d’une annonce de céréales, n’est-ce pas ? Je n’ai ni fait les voix d’orgasmes, ni embrassé dans le vide. Je suis sortie de l’audition en sachant que je n’obtiendrais pas ce contrat. Non pas parce que je n’avais pas ce qu’il fallait, mais parce qu’on ne m’a pas, au départ, permis de consentir à la situation.
Ce n’est que plus tard que j’ai compris. Il s’agissait d’une prise de pouvoir. Les comédiennes et comédiens sont toujours placés dans des situations vulnérables lors de ce genre d’auditions. Il n’y a pas de contrat lors d’une audition. Ça peut sembler drôle, anodin, mais il m’a fallu du temps afin de comprendre pourquoi je ne trouvais pas ça drôle. Je ne sais pas comment j’aurais réagi, avoir été seule dans la salle d’audition ! Jamais on ne doit rester dans une situation où on ne se sens pas à l’aise, et on ne nous le répète jamais assez souvent.
Plus tard, on m’a offert un super rôle dans une télésérie. Un plateau extraordinaire, des collègues hors-pair. Plus souvent qu’autrement, lorsqu’on obtient un premier rôle, on nous demande de nous rendre chez le médecin, pour des fins d’assurances. Un formulaire avec une série de questions. Les premières années, il s’agissait d’un médecin qui avait l’habitude de voir des comédiens et comédiennes. Il nous était recommandé par la production. Or, la dernière fois où j’ai dû faire remplir un formulaire, je me suis retrouvée dans une situation qui n’aurait jamais dû se produire.
Le médecin, qui n’était pas le médecin habituel, m’a demandé de me dévêtir puisqu’il devait faire un examen complet. Je lui ai rappelé qu’il s’agissait d’une série de questions et qu’un examen physique complet n’était pas nécessaire. Il ne quittait pas la salle, ne m’offrait pas de couverture. Il était dans la salle à attendre que j’enlève mes vêtements. J’ai refusé d’enlever mes vêtements en lui disant, à nouveau, qu’un examen complet n’était pas nécessaire. Il était frustré et surpris de ma réaction. Il a refusé de me redonner ma feuille et ne l’a pas signée, en me disant que je ne pourrais pas travailler sans l’approbation d’un médecin. Je suis sortie très rapidement du bureau. Les infirmières m’ont demandé si ça allait, elles m’ont aussi répété son nom pour que je puisse déposer une plainte. Ceci étant dit, heureusement que j’avais vu le médecin habituel auparavant, puisque je n’aurais potentiellement pas su qu’il n’était pas normal de faire un examen médical complet pour avoir un rôle à la télévision.
Suite à l’événement, j’ai appelé la production. Ils et elles ont réagi avec tact et avec savoir-faire. La production a aussi choisi de ne plus envoyer comédiens et de comédiennes à cet endroit.
LR : Remarquez-vous une sensibilisation aux agressions sexuelles dans le milieu avec le temps ?
Renée : Beaucoup ! Non seulement il y a une sensibilisation, il y a aussi des discussions. Les professionnels du milieu en parlent. Je crois aussi que la dénonciation des situations inacceptables — des agressions sexuelles — parfois difficiles à reconnaître, nous permet d’évoluer dans un milieu artistique plus sain et changeant. Le changement prend du temps, certes. Certains milieux auront plus de difficulté à évoluer dans une nouvelle culture.
Malgré avoir signé un contrat, j’ai le droit de changer d’idée. J’ai le droit d’être mal à l’aise en maillot de bain, même si ma collègue n’a aucune difficulté à enlever son chandail.
Je dois pouvoir consentir aux possibilités des rôles.
Je suis choyée d’être dans un milieu artistique me permettant de travailler en sécurité. D’être dans un milieu artistique à l’écoute et ouvert à toutes les possibilités. Les compagnies théâtrales de la région et les maisons de production pour lesquelles j’ai travaillé sont des modèles en ce qui a trait à un climat de travail positif et respectueux.